THE GREAT HISTORY OF WESTERN PHILOSOPHY
Un·e animateur·ice cosmique est engagé·e par le Comité central de la République populaire pour réaliser un film philosophique sous le regard du président Mao, qui, mécontent, le·la condamne à mort dès le début. Rassurez-vous, la sentence n’a pas tenu, réfutée par Singe et Porcet de « La Pérégrination vers l’Ouest ».
Avant-propos (Annecy 2025)
C’est une histoire qui commence bien : attiré par le titre original aux mots transparents, le spectateur arrive dans la salle de cinéma et s’installe dans son siège dans l’espoir de suivre, non sans humour, un bout de l’histoire de la philosophie. Un programme qui, en vérité, sied parfaitement à l’animation, à sa capacité d’enfler les choses ou de les essentialiser, de les faire muter aussi facilement que ses figures plastiques. La projection démarre. Après une courte série de scénettes sans queue ni tête, convoquant une poupée décharnée, un Mao Zedung en papier découpé et un sanglier en uniforme, brusque raccord. Un (faux) générique s’écrase dans le montage, tandis que la promesse du titre s’envole. Le film impose alors à tous sa seule position intelligible : de la philosophie, vous n’apprendrez rien (Horreur ! Trahison !). Tout juste vous reconnaîtrez quelques figures – Mao, dont on moque le grand crâne chauve, Platon, qui sort de sa caverne, Nietzsche et Ann Rand, qui sont nommés. Les autres sont pour ceux qui arrivent à les reconnaître, mais resteront de pauvres fétus de paille emportés dans une tempête de nonsense la plus jusqu’au-boutiste possible. « Ne cherchez pas de sens au film, il n’y en a pas ». Point final.
Critique du film
Si l’on doit reconnaître un élément invariable dans La gran historia, c’est sa façon d’adopter une forme qui respecte scrupuleusement ce postulat : une sorte de collage absurde évoquant ceux des Monty Pythons, sur lequel est apposé un récit ayant trait à l’écriture automatique, qui laisse venir les mots du subconscient et désintègre tout sens, au niveau des situations jouées comme au niveau des phrases débitées à la chaîne. Le résultat est bien ce qu’il pense être : un charabia incompréhensible où l’on est bien en peine de relier ne serait-ce qu’une idée à une autre. Soit. L’effort de compréhension n’est donc pas tellement à consacrer à la finalité produite, mais davantage au périmètre que se donne le long-métrage pour ensuite partir en roue libre en toute impunité.
Quel imaginaire (politique, esthétique, historique) convoque donc Aria Covamonas et son équipe pour construire cette grande histoire de la philosophie ? Celui du faux documentaire, dans un premier temps : marqué d’une image tressaillante, surexposée, dévorée par le grain de la pellicule, le film se présente comme une œuvre ancienne, produite à titre éducatif par le Parti Communiste chinois mais finalement interdite (« regarder ce film sans autorisation est anti-révolutionnaire »), dont on regarde le contenu avec la distance de l’histoire. Cet horizon esthétique, qui normalement atteste de la véracité des choses, est complété par l’imaginaire du péril rouge, autant valorisé que conspué.
Dans une posture ironique, le film rassemble le fait et sa critique, tournant en dérision le personnage de Mao tout ramenant dans ses articulations de récit l’évocation des hauts faits de son régime (création d’une image du dictateur, assassinats politiques, conquête spatiale). Dans cet aplanissement politique – une chose équivaut à son contraire – qui nourrit la machine infernale du nonsense, le long-métrage se révèle malgré lui comme un objet qui se fane beaucoup plus vite que le mélange d’absurde et de bizarre insaisissable et universel qu’il prétend dérouler.
Posons la question clairement : qui considère encore aujourd’hui la Chine communiste de Mao comme un sujet actuel ? Qui s’amuse encore des gags sur le dictateur, des parodies de ses slogans, de l’image déformée que l’occident et l’orient ont l’un de l’autre ? N’y avait-il pas d’autres totalitarismes, d’autres peurs contemporaines à aller interroger ? Si le film est très doué pour se donner l’apparence du documentaire de propagande daté, extirpé du fin fond des années 60 ou 70, c’est aussi parce qu’il est terrorisé par le fait d’être actuel et, sans doute, de regarder le présent. Un seul élément le reliant directement au monde contemporain, et plus précisément aux récents enjeux de représentation dans l’animation, fait surface dans le récit : l’évocation de la tombée du personnage de Mickey Mouse dans le domaine public. Pour quelle finalité ? Une transformation de sa figure ronde en boule de chair repoussante, et une disparition après quelque répliques, sans plus de réflexion que les productions horrifiques qui ont pullulé récemment et dont la seule idée est de défigurer des personnages associés à des productions pour enfant. Le présent mérite un autre visage.
Une idée inédite épargne toutefois l’ensemble de l’hermétisme complet : celle d’accompagner ce film multilingue (on entend, a minima, de l’anglais, de l’espagnol et du mandarin) d’un sous-titrage incohérent, qui ne retranscrit pas fidèlement les dialogues. L’objectif, sans doute, est de dynamiter l’expérience classique du spectateur face au film, de créer un para-film à côté de ce qu’est déjà La gran historia sur le plan visuel. L’intelligence de l’idée ne s’incarne néanmoins jamais dans le long-métrage, puisqu’elle repose sur une base instable où tout sens logique est volontairement détruit. En cela, le film s’inscrit dans un parallèle involontaire avec le brainrot, production animée d’internet fondée sur le même mot d’ordre, qui a su accoucher de propositions intéressantes en lien avec le sous-titrage et la place de l’écrit à l’écran – mais parce qu’elle est liée à une culture internet, une culture numérique en prise directe avec le monde contemporain.
L’œuvre d’Aria Covamonas se déploie pourtant dans la parfaite ignorance, feinte ou non, de l’existence de cette production, en cherchant à dynamiter le visionnage du spectateur plutôt que son propre cadre de pensée quelque peu sclérosé, qui se rend automatiquement caduc lorsque pris au temps présent.