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L’HISTOIRE DU SOLDAT

Il était une fois un petit soldat qui rencontra le diable et lui céda son violon. Un diable tour à tour chasseur de papillons, speaker à la radio, photographe, masseur de sauna. Un petit soldat en permission… La musique de Stravinsky mêle les rythmes de jazz et de musique sacrée, le tango, la valse et le ragtime.

Avant-propos

La projection dédiée à l’animateur R. O. Blechman dans le cadre de la programmation Annecy Classics a permis de faire d’une pierre deux coups : mettre en lumière le travail d’un animateur dont tout le monde connaît le style sans le savoir – c’est lui qui a réalisé les publicités animées de la marque Red Bull – mais aussi révéler par la confrontation de deux de ses films sa manière de critiquer le monde moderne et ses obsessions.

La séance débutait ainsi par le court-métrage No Room at the Inn, reprise humoristique du voyage de Joseph et Marie à Bethléem pour trouver un lieu d’accueil pour accoucher : du fait de sa pauvreté, le couple se voit refuser l’accès à plusieurs auberges, de la plus luxueuse à la plus humble, pour finalement être chaleureusement acceptés par les animaux d’une étable. Mais après la naissance de Jésus, tous les établissements décident de modifier leur nom ou leur présentation pour récupérer la potentielle clientèle que représentent les pèlerins attirés par le miracle. On devine dans l’esprit du film le passé de cartoonist du réalisateur, qui a travaillé autant pour de grandes marques que pour des journaux comme le New Yorker : à la fois dans les codes de la publicité savamment assimilés et détournés, mais aussi dans le trait courbe employé pour représenter les personnages, pas très éloigné de la caricature.

Critique du film

L’Histoire du soldat élève toutefois son travail à un niveau supérieur. Adapté d’une pièce musicale de Stravinsky, le moyen-métrage retrace l’histoire d’un soldat qui rentre de la guerre pour se marier. Le jeune homme rencontre le Diable sur son chemin et passe malencontreusement un pacte avec lui, acceptant d’échanger son précieux violon contre un livre qui compile les futures fluctuations de la bourse. L’approche épurée du dessin et des décors, souvent réduits à leur plus simple expression, participe beaucoup au caractère évocateur de ce conte, mais le film brille particulièrement par sa manière de faire correspondre son dispositif aux enjeux des séquences : le pas strict du régiment est par exemple exprimé par une simple alternance rythmée entre deux images, tandis que le clignotement des yeux de la princesse qui se réveille se retrouve intégré dans la représentation même de la séquence, qui simule une projection de film muet au scintillement particulier.

L’intrigue du film, qui s’ouvre sur le début des années folles et évoque l’arrivée du capitalisme et de la société de consommation, demeure parfaitement menée, mais est presque une excuse pour R. O. Blechman pour s’affirmer comme un véritable homme des médias, qu’il comprend et interroge tout au long du film : de l’évocation de la peinture moderne comme réponse au vide laissé par la guerre en passant par la photographie qui fige le personnage principal lorsqu’il tente de s’opposer au Diable, toutes les articulations du récit indique qu’une personne qui sait saisir l’air du temps est aux commandes – un temps pourtant passé au moment de la réalisation du film. On sait que les animateurs ont souvent un parcours transversal entre plusieurs disciplines du monde de l’image, mais le découvrir en direct sur grand écran a rarement été aussi passionnant.


Annecy 2023  – Classics




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