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BALENTES

En Sardaigne en 1940, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Ventura et Michele, 11 et 14 ans, volent les chevaux d’une ferme militaire avec l’intention idéaliste de les sauver de la guerre. Mais sur le chemin du retour, ils sont interceptés par la milice rurale et l’un d’eux est tué. C’est Anna, la sœur de Michele et l’amie de Ventura, qui devra reconnaître son corps.

Critique du film

Comment saisir un événement historique, a fortiori quand il n’a pas laissé d’autre trace qu’un récit oral ? On imagine aisément à quel point Giovanni Columbu a été travaillé par cette question lors de la réalisation de Balentes, inspiré, comme le confesse le générique, d’une histoire racontée autrefois par sa grand-mère. Le cadrage difficile du sujet et les choix contrariés d’image et de type de mouvement pour le mettre en scène s’incarnent ainsi de manière agitée dans la forme finale du film, en constante redéfinition, mutant d’un choix à l’autre, d’un mouvement abstrait à une fixité totale.

C’est ce refus entier d’une stabilité du dispositif d’animation qui heurte le spectateur en premier. L’ensemble navigue non pas entre une large typologie d’images, comme il est de plus en plus courant de faire dans l’animation contemporaine, mais plutôt le long d’une échelle de mouvements plus ou moins saccadés, plus ou moins oscillants, dont le dernier échelon est une fixité totale que la mise en scène saisit à quelques reprises. Jouant du langage propre à l’animation limitée, où l’on peut parfois compter sans peine le nombre d’images qui décomposent un geste, le film développe une réflexion sur comment cette approche particulière du mouvement transforme la réception des images et réarrange le visible.

Balentes

La place occupée par les visages est, à ce titre, éloquente : de silhouettes nommées dans les dialogues mais visuellement anonymes (action majoritairement vue à distance, traits flous et méconnaissables lors des gros plans), qui contribuent à mythifier le récit, on passe parfois brusquement à des visages pleinement expressifs, figés dans une forte émotion. L’immobilité soudaine dérègle la compréhension de la séquence, comme si nous étions soudainement trop proches d’un tableau et qu’un court temps de réadaptation était nécessaire pour appréhender ce que l’image figure, en passant du registre cinématographique au pictural.

Un goût de l’abstraction, déjà amorcé par le choix du noir et blanc, parcourt ainsi le long-métrage, moins par exercice esthétique que pour exprimer les tâches aveugles qu’implique la restitution de ce fait divers perdu dans l’Histoire. Celui-ci est très simple – deux enfants s’enfuient avec leurs chevaux destinés à être emmenés au front, un homme les dénonce et l’un des deux est abattu dans les montagnes – mais reste présenté de manière opaque et fragmentée, quitte à perdre en lisibilité, pour en exprimer toute l’horreur et l’injustice. Le rapport à l’abstraction fait advenir occasionnellement un mouvement hypnotisant, décorrélé de signification et de figures : un mouvement pour le mouvement, qui n’évolue pas dans l’espace mais uniquement dans le visuel, qui semble exprimer un chaos issu de l’inconscient, un trauma toujours vif pour celui qui transmet l’histoire et celui qui la récpetionne. La démarche de remonter vers une forme plus primitive de cinéma, jusqu’aux compositions sonores anxiogènes du Vampyr de Dreyer et aux boucles d’Étienne-Jules Marey saisissant le déplacement d’un cheval, fait converger les choix esthétiques vers un horizon tortueux mais réparateur : incarner l’histoire dans un dispositif, aussi balafré soit-il, pour la faire advenir dans le présent, et passer à autre chose.


Annecy 2025Contrechamp