DOSSIER 137
Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité… Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro.
Critique du film
Vingt ans que Dominik Moll n’était pas apparu en compétition à Cannes et la réception glaciale de Lemming (également choisi pour ouvrir le festival en 2005). Une douche froide d’autant plus sévère qu’elle succédait au succès d’Harry, un ami qui vous veut du bien. Il aura fallu attendre 2022 pour voir le réalisateur arpenter de nouveau la Croisette avec La nuit du 12, présenté cette fois-ci dans la toute jeune section Cannes Première. Dense, engagé et remarquablement interprété, ce polar sur un féminicide irrésolu connaîtra un bel accueil, aussi bien critique que public, couronné par un César du meilleur film. Trois ans plus tard, Dossier 137 marque le retour du cinéaste en compétition, avec un film résonnant une nouvelle fois avec son époque, en abordant frontalement la question des violences policières.
Les ponts avec La nuit du 12 sont d’entrée de jeu évidents : un scénario inspiré de faits réels, un personnage fonctionnaire de police progressivement hanté par l’affaire qu’il / elle traite et la quête obsessionnelle de vérité comme enjeu majeur du récit. À bien des égards, Dominik Moll poursuit son exploration des dérives institutionnelles et leurs conséquences tragiques sur des vies innocentes brisées. Ici, ce sont les manifestations issues du mouvement des gilets jaunes en décembre 2018 qui servent de toile de fond. Stéphanie est commandant de police à l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), la « police des polices ». Suite à une plainte, elle est chargée d’éclaircir les circonstances qui ont conduit un jeune homme à l’hôpital, gravement blessé à la tête par un tir de LBD.
L’écueil d’une écriture trop didactique, voire involontairement grossière était grande face à un sujet aussi brûlant. Or, c’est exactement l’inverse qui s’opère dans le scénario fomenté par le réalisateur et son fidèle co-scénariste, Gilles Marchand. Dès la première séquence qui voit Stéphanie confronter un policier à une vidéo incriminant clairement ce dernier, le film tient un remarquable équilibre qui lui sert de note d’intention. En quelques minutes seulement, tout est posé : la complexité des rapports entre les instances policières, la fatigue et l’état de stress psychologique des forces de l’ordre envoyées au front, dans un encadrement qui relève quasiment de l’improvisation, et même le rôle des réseaux sociaux comme facteur incriminant ou non au moment de décider d’une sanction disciplinaire.
À l’instar de leur travail sur La Nuit du 12, Dossier 137 se distingue par un soin tout particulier apporté à la caractérisation de ses personnages et à la mise en scène dans laquelle ils évoluent. La majeure partie du film se veut à l’image du cas traité par Stéphanie et son équipe : rigoureuse, procédurière, voire volontairement répétitive. L’enquête avance au fil des requêtes administratives (procès-verbaux, images de surveillances, etc.) pour glaner la moindre information. Les auditions s’enchaînent et s’entrelacent avec les mêmes questions et les mêmes valeurs de plans pour tenter de recouper les informations de la manière la plus objective possible. Cette approche rend d’autant plus tragique la seconde moitié du long métrage qui décortique minutieusement chaque faille du système, rendant la soif de justice de Stéphanie aussi vaine que l’était la traque du meurtrier de La nuit du 12.
Aussi ancré dans le réel qu’il soit, le film ne joue pour autant jamais contre sa propre nature de film policier. Moll prouve une nouvelle fois sa capacité à insuffler un suspense d’une efficacité redoutable, tout en renouvelant sa forme. Le cinéaste abandonne ici l’atmosphère ténébreuse et quasi fantastique de ses derniers longs-métrages pour se rapprocher d’un ton naturaliste que son sujet imposait certainement (photo désaturée, utilisation d’images de smartphone, plans fixes…).
Incisif et hautement politique, Dossier 137 dresse un constat effrayant de l’état des institutions policières en France. Sans jamais oublier la nuance et la part d’humanité qui règne peu importe de quel côté des barricades on se trouve, il invite le spectateur à s’interroger sur un système vicié et imparfait, parfaitement symbolisé par les dilemmes moraux et intérieurs de son héroïne. Dont acte citoyens !