SOUND OF FALLING
Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l’Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.
Critique du film
Après un premier long-métrage resté inédit en France, la réalisatrice allemande Mascha Schilinski fait son entrée en grandes pompes avec la responsabilité d’ouvrir la compétition de cette 78e édition du festival de Cannes. Intriguant dès son synopsis, Sound of Falling saisit d’emblée par son esthétisme. Mais son imagerie gothique et macabre, qui emprunte ses codes à l’horreur pour distiller ses premiers éléments, n’est que la porte d’entrée vers une oeuvre plus dense, complexe et vertigineuse, qui explore une lignée de femmes.
Dès les premières minutes, le film nous immerge dans un univers où les ombres, les symboles funèbres (ou religieux) et les jeux de lumière semblent en raconter autant que les mots. S’il en déroutera certain·e·s, le film exerce une force d’attraction pourtant incontestable, soignant sa narration éclatée, ses choix visuels audacieux et son atmosphère empreinte de mystère. Il ne faut que quelques images pour être happé·e par sa mise en scène audacieuse : cadrages, jeux de miroir et inversions d’image, flous, ralentis et longs travellings travaillés. Sublimé par la cinématographie éblouissante de Fabian Gamper, qui confère au récit une dimension autant poétique qu’inquiétante, l’oeuvre navigue entre la lumière et les ombres, ce qui est énoncé et ce qui est tu. La narration entremêle quatre époques distinctes dans un même espace géographique — une ferme isolée dans l’Altmark et ses environs —, créant un labyrinthe temporel où les échos entre les générations se répondent tandis que le contexte historique de chaque arc nous permet de situer progressivement les chronologies.
Violences ancestrales
À travers les récits d’Alma, Erika, Angelika et Nelly, Sound of falling expose surtout cette violence ancestrale, larvée, qui pèse sur les filles, bridant leurs désirs ou, parfois, les condamnant. Il est tout de même question d’abus et d’inceste, de stérilisation forcée et de silence(s) imposé(s), de mortalité infantile et de suicides, autant d’éléments traumatiques qui s’intègrent dans cette transmission intergénérationnelle face à une domination patriarcale persistante et impitoyable.
Si le film devrait trouver légitiment une place au palmarès en fin de festival, ce sera peut-être pour honorer la prodigieuse mise en scène immersive de Mascha Schilinski. Sa caméra accompagne chacune de ses héroïnes, épouse leur regards, tandis que les voix-off dévoilent leurs songes et leurs pensées, parfois innocentes, parfois sordides et désespérées. Si plastiquement le film éblouit, il faut aussi saluer le méticuleux travail sonore, des bruits enivrants de la nature aux sons ambiants inquiétants, captant souvent l’ouïe avant de saisir la rétine. Cet alliage de réussites techniques renforce la tension du film et cette chape de plomb qui pèse sur ses protagonistes, comme une fatalité.
Enfin, il faudra associer son impeccable distribution à la réussite du film. Les comédiennes, Hanna Heckt, Lena Urzendowsky, Laeni Geiseler, Susanne Wuest, Luise Heyer ou encore Lea Drinda offrent des performances d’une grande justesse, incarnant avec intensité les différentes facettes de la condition féminine à travers le siècle, donnant chair à cette fresque hypnotique, qui allie virtuosité formelle et profondeur thématique.
En confrontant les spectateur.ice·s à la violence sourde de la domination patriarcale et aux blessures transmises de mère en fille, Mascha Schilinski nous propulse dans une expérience cinématographique saisissante et s’impose d’emblée comme l’une des œuvres marquantes de cette nouvelle édition cannoise.
Cannes 2025 – Compétition