THE CHRONOLOGY OF WATER
Ayant grandi dans un environnement ravagé par la violence et l’alcool, Lidia, une jeune femme, peine à trouver sa voie. Elle parvient à fuir sa famille et entre à l’université, où elle trouve refuge dans la littérature. Peu à peu, les mots lui offrent une liberté inattendue…
Critique du film
Dire que ses débuts étaient attendus relèverait de l’euphémisme. Après un court métrage remarqué, Come Swin (2017), Kristen Stewart planchait depuis sur la réalisation de son premier long métrage, adapté de l’ouvrage autobiographique de Lidia Yuknavitch. Un projet qu’elle décrivait déjà comme très personnel : « [Cette autrice] est dans mon sang et je le savais avant même de la rencontrer ». Jadis grand espoir de la natation olympique, l’écrivaine se racontait dans un style frontal et impudique, revenant sur les abus subis pendant son enfance et sur son adolescence, marquée par la violence, l’hypersexualité et l’alcoolisme. Là où d’autres débutant·e·s auraient opté pour un premier projet moins ambitieux, Kristen Stewart a choisi de relever le sacré défi de porter à l’écran son histoire, ce qu’elle fait avec talent, bien au-delà des espérances placées en elle.
Pour traduire le style fragmenté et poétique de l’autrice, Stewart adopte une écriture cinématographique non-linéaire, comme pour mieux refléter la nature trouble de la mémoire et du traumatisme. S’appuyant sur la photographie de Corey C. Waters et le montage savamment travaillé d’Olivia Neergaard-Holm, la néo-réalisatrice installe d’emblée une atmosphère oppressante. Jouant sur les sens du spectateur, grâce à un mixage sonore sophistiqué, The chronology of water brouille les cartes, juxtapose les images et les bruits. Le malaise s’installe. Le sang est versé, les mines se brisent, les coups claquent. La toxicité du père abusif, la maltraitance d’un coach sur ses jeunes athlètes.
Tout n’est qu’une série de fragments, de répétitions…
« Les souvenirs sont une histoire, alors vous feriez mieux d’en trouver une avec laquelle vous pourrez vivre » clame Lidia en voix-off. Cette phrase pourrait résumer autant le film que le cheminement introspectif et artistique du personnage. À travers la littérature et la natation, elle cherche à se reconstruire et à trouver sa voix, à fuir ses traumatismes. Kristen Stewart s’inscrit dans cette même démarche, décompose son récit qu’elle livre par fragments, parfois répétitifs, parfois contemplatifs. Elle happe notre regard, saisit nos tripes, nous maintient dans cette histoire de la violence. Tout n’est que chaos, l’écriture se fait urgente, affranchie des normes. Lidia a besoin de trouver sa voie, gagner sa liberté. Combien de kilomètres faut-il nager pour arriver jusqu’à soi ? nous interroge-t-elle.
Cherchant à transposer à l’écran l’esprit et l’intensité émotionnelle du récit originel, Kristen Stewart nous plonge dans les abîmes, nous immerge dans les méandres les plus sombres de l’âme de Lidia, campée par une Imogen Poots incandescente. Sûre de sa vision et de ses choix de mise en scène, elle livre un premier geste cinématographique impressionnant qui n’a peur de rien et certainement pas de créer l’inconfort. Radicale, dérangeante et fascinante, cathartique et furieusement poétique, The chronology of water est une oeuvre bouillonnante, d’une liberté incroyable et d’une créativité insolente, qui explore la sexualité féminine, la résilience et la maternité avec une audace vertigineuse.
Pour ses débuts à la réalisation, sélectionnée à Un Certain Regard, Kristen Stewart entre par la grande porte, avec l’aplomb des artistes qui clament leurs convictions et assument leur regard, leur voix. Avec The Chronology of water, elle signe un premier film percutant, une représentation viscérale des expériences féminines et du pouvoir de l’écriture dans le long processus de guérison après le bruit et la fureur.