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JURASSIC WORLD : RENAISSANCE

Cinq ans après Jurassic World : Le Monde d’après, l’environnement de la planète s’est révélé hostile pour la plupart des dinosaures. Ceux qui subsistent vivent dans des zones équatoriales isolées, aux conditions proches de celles de leur ère d’origine. Parmi ces créatures terrifiantes, trois spécimens renferment peut-être la clé d’un remède capable de changer le destin de l’humanité.

CRITIQUE DU FILM

Au cœur de Jurassic World Renaissance se trouve l’apogée narrative et technologique de la saga. Alors qu’une poignée de mercenaires se balade dans les hautes herbes au milieu d’une île peuplée de dinosaures, le scientifique du groupe, Henry Loomis, lève la tête et s’aperçoit être au milieu de ce qui ressemble à des brachiosaures en plein accouplement. Devant ce spectacle hors du commun, ce paléontologue de formation, initialement peu enclin à braver le danger, se rapproche des dinosaures et touche la patte de l’un d’entre eux. L’apogée technologique est là : quand Jurassic Park montrait les dinosaures de loin ou que la première trilogie Jurassic World ne présentait ces animaux préhistoriques que comme une matière dangereuse et indomptable dont il faut s’éloigner, Renaissance acte un contact doux, concret, sensible. Le rêve de voir un homme toucher, littéralement et au sens figuré, un idéal jusqu’alors inaccessible, existe enfin. Il est sous nos yeux.

Mais nos yeux sont-ils ébahis ? Non. Ils s’arrêtent aux petites choses. A y regarder de plus près, ce contact a quelque chose d’étrange. Qu’est-ce que ce dinosaure a en trop que ceux du film initial de Steven Spielberg n’avaient pas ? Sa queue n’est-elle pas trop longue, un peu trop proche du reptile ? Pourquoi a-t-il ces petites épines dorsales qui frémissent ? Par la force des choses, l’apogée narrative est aussi présente à cet endroit. Lorsque le nœud principal du récit commence, une curieuse série de cartons donne le ton : face à un désintérêt croissant du public pour les mammifères du Crétacé, des scientifiques subventionnés par les industries du divertissement ont décidé de créer des espèces pour maximiser l’attrait du chaland. Ces expériences n’ont pas eu le succès escompté, et l’île sur laquelle survenaient ces tests assez téméraires fut laissée à l’abandon. Ainsi le petit groupe présenté en introduction de ce texte, réuni par un magnat de l’univers pharmaceutique, fut contraint d’accoster sur cette île des années plus tard, après avoir été condamné à quitter leur bateau par une horde de créatures marines.

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THE THIRD PLACE

Par effet de métonymie, le film de Gareth Edwards est lui-même une immense vallée dérangeante, où le vrai du faux des dinosaures s’emmêle dans cet étrange écosystème. Comment réagir face à une créature dont on ne comprend plus le comportement ? Est-ce là un fameux T-Rex ou une bête encore plus sournoise et sauvage ? Faut-il craindre les vélociraptors, ou pire encore ? Ces questions existent car le projet les met dans cesse en exergue. Le script, malgré son caractère très programmatique (le film est construit maladroitement comme un jeu vidéo à l’os, où chaque acteur doit remplir une mission pour espérer franchir une étape supplémentaire dans sa survie) contient de grandes scènes de tension issues des rencontres entre humains et colosses animaliers. 

Si sa tension dramatique souffrait parfois d’une trop grande frilosité dans des films tels que Godzilla ou Monster, Edwards fait preuve ici d’une belle générosité, ne s’embarrassant pas de montrer sous divers aspects tout le bestiaire de la saga, sans trahir sa malice et ses effets de surprise souvent efficaces. En somme, le film lui ressemble beaucoup dans ses aspects les plus positifs, et son débarquement in extremis dans la production accélérée se fait assez peu ressentir. 

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A s’y méprendre, Jurassic World : Renaissance est donc moins la suite spirituelle de Jurassic World : Le Monde d’après, que celle de Jurassic Park 3 de Joe Johnston. Une série B sans aucune prétention, capable de fulgurances de mises en scène dans ces séquences les plus nerveuses, et sans s’échiner à vouloir raccrocher tous les wagons avec les films précédents. Le problème est que cette nouvelle mouture lui emprunte aussi beaucoup de défauts difficilement acceptables. Pour ce faire, revenons à ce toucher de patte de dinosaure. Comme nous l’expliquions, ce brachiosaure a quelque chose qui ne ressemble pas vraiment aux reconstitutions des manuels scolaires, ni même du premier film ; il a quelque chose de modifié. Sauf que ce cœur dramaturgique n’est jamais un cœur émotionnel fonctionnel. 

Si Renaissance arrive avec habileté à ne pas abuser de sa déférence au premier volet, force est de constater que Jurassic Park a bâti un héritage immuable, trans-générationnel et impassable. Or, Renaissance ne reproduit pas Park, il le travestit par sa thématique. Toucher ce dinosaure génétiquement modifié, aussi beau soit-il dans son rendu numérique, n’apporte que de la frustration de ne pas vraiment être une copie conforme. Or, le personnage pourtant historien du Crétacé ne semble pas ressentir la chose de la même manière. Lui est extatique, hurle de joie, clame son bonheur. Cette dissociation cognitive entre spectateur et personnage, dans un moment charnière où le thème principal réorchestré par Alexandre Desplat tourne à plein régime, fait sonner faux. Cela termine de dévoiler tous les grands problèmes traversés par cette entreprise brinquebalante. A l’instar des dinosaures qui communiquaient entre eux par champ contre champ dans le film de Joe Johnston, il y a quelque chose d’absurde qui cloche dans l’ambition thématique de Gareth Edwards et David Koepp.

Jurassic world renaissance

EMOTION ENGINE

Cela va sans dire que la vallée dérangeante promise par Renaissance devient alors protéiforme : elle représente autant les qualités et les défauts d’un film dont finalement on a du mal à croire dans son ensemble. Aussi excitante soit-elle par endroits, l’aventure construite à partir de ses scènes d’action reste précédée d’une première heure interminable de dialogues mal fagotés, joués par des comédiens bien trop beaux, trop propres sur eux et trop identifiés pour incarner véritablement les aventuriers chevronnés qu’ils sont censés jouer. Seul acteur principal avec une persona déjà marquée dans les premières œuvres de la saga, Jeff Goldblum avait réussi à la transposer pour donner à son personnage de Ian Malcolm sa carrure de dandy rock’n’roll que tout le monde connaît à présent. Ici, difficile d’admettre par exemple que Mahershala Ali joue autre chose qu’un mélange décharné de Ernie Hudson et d’Adewale Akinnuoye-Agbaje dans Congo de Frank Marshall – exemple pas choisi au hasard puisque Marshall est aussi producteur des films Jurassic Park

Tout ceci, associé à un script anarchique de David Koepp mettant le contrat spectatoriel à rude épreuve, forme une cacophonie qui ne montre rien d’autre que l’échec d’une quelconque forme d’émotion dans le projet. Stupéfiant de la part d’un cinéaste dont le précédent long-métrage, The Creator, avait justement raflé la mise par son amour pour l’altérité et sa façon d’embrasser le regard des non-humains, pour les faire ressentir et ainsi leur donner une âme aussi forte que celle des humains. On pensait s’amuser et être touché par une grande aventure merveilleuse menée tambour battant, on finit ennuyé à se dire « tout ça pour ça » devant une œuvre industrielle schizophrène à l’ambition atrophiée, qui frise le n’importe quoi mais qui, grâce au talent de son réalisateur, parvient par miracle à échapper à la série Z absconse. 

BANDE-ANNONCE

4 juillet 2025 – De Gareth Edwards

Avec Scarlett JohanssonJonathan BaileyMahershala Ali et Rupert Friend