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THE CREATOR

Dans un futur proche, humains et intelligence artificielle (IA) se livrent une guerre sans merci. Soldat américain infiltré en Asie, Joshua est séparé de sa femme Maya au cours d’un assaut. Supposant que celle-ci est décédée, il rentre aux États-Unis, complètement dévasté. Cinq ans plus tard, l’armée lui demande de revenir sur le terrain, craignant qu’une puissante intelligence artificielle n’ait créé une arme qui permette à l’Orient de gagner la guerre qu’elle livre à l’Occident. Sentant son utilisation proche, elle souhaite qu’il la trouve et la détruise. Lorsque la colonelle Jean Howell apprend à Joshua que Maya est peut-être en vie et qu’elle se trouverait dans la zone de combat, celui-ci trouve soudainement un nouvel enjeu dans cette mission qu’il avait tout d’abord accepté à contrecœur. Cependant, peu après son arrivée en Asie, il découvre que l’arme en question n’est autre qu’une petite fille de 6 ans prénommée Alphie. Dès lors, Joshua commence à remettre en question ses convictions sur l’IA : Où est la vérité ? Que lui a-t-on caché ?

CRITIQUE DU FILM 

Une scène d’étreinte au lit, juste après l’incipit, dessine les enjeux et les paradoxes de The Creator. Dans cette séquence, Joshua (John David Washington) est couché avec sa femme enceinte, et ils s’embrassent longuement. La succession d’inserts au plus près de la carnation du personnage et de celui de sa femme, interprétée par Gemma Chan, relève un moment charnel et chaleureux. Le ton calme et chuchoté de la discussion participe à l’intimité ressentie. Mais lorsque des ennemis pénètrent dans leur propriété, le ton et les corps changent brutalement : ainsi, dès son lever, le protagoniste masculin revêt une prothèse robotique à l’un de ses bras et à sa jambe gauche. La clé du film n’est-elle justement pas cette prothèse ?

Dans un univers où les États-Unis se sont lancés dans une guerre sans merci contre l’intelligence artificielle développée sur le continent asiatique, les membres artificiels de Joshua « sursignifient » son paradoxe d’être à la fois humain et à la fois son altérité. D’abord apprécié puis méprisé par les deux camps, son tandem avec la petite Alphie vit sur un fil et ressent le monde par deux prismes particuliers. Ces prismes sont la caractérisation mélodramatique de la création des personnages (l’un par la construction dramatique du film, l’autre par sa construction littérale par des concepteurs en Asie) et leur aventure suicidaire pour enfin mettre un terme au conflit.

Dès lors, le changement de point de vue sur la guerre sauvage que The Creator opère au cœur du film (à l’origine proche des humains, le long-métrage bascule logiquement en faveur des machines) se fait par l’intermédiaire d’un rapport sensible au monde, qui dépasse très souvent les indices narratifs stricto sensu. Lorsque Joshua découvre le temple des robots au fin fond de l’Asie, l’exploration de cet arrière-pays se fait par un truchement d’images découpé en montage-clip, dont l’intérêt premier n’est pas de réaliser un syntagme descriptif mais un parallèle sensitif bienvenu entre un mysticisme cryptique attestant d’une foi mystérieuse des robots, et une déshumanisation paradoxale d’êtres humains calculateurs, cyniques et froids.

Ainsi, il n’est plus question d’un enchainement d’images esthétisantes sur la création démiurgique d’une réalité alternative par un réalisateur en crise de surmoi, mais un étonnant regard enraciné des robots à propos de la terre sur laquelle ils vivent et qu’ils tentent d’honorer du mieux qu’ils peuvent. C’est par ce biais qu’Edwards réussit à « donner vie » à la population robotique : il se risque plus tard à faire des champs contre-champs très émouvants entre humains et robots qui fonctionnent parfaitement, tout en cristallisant la position du spectateur vis-à-vis des soldats américains dont la dernière utilisation d’IA consiste en la création de bombes mécaniques kamikazes, dont le design a des faux airs troublants de R2-D2, et sans once de réflexion quant à leur propre utilité.

Quoique parfois soumis à une pelletée de références à de nombreux univers SF préexistants (Blade Runner, Oblivion, Elysium, Cyberpunk 2077, William Gibson…) qui survole une partie de ses grands axes thématiques, Gareth Edwards parvient à homogénéiser son environnement en un espace épuré grâce à une série de raccords regard qui progressivement se déplacent, n’émanent plus directement du personnage de John David Washington qui découvre de nouvelles parcelles du monde, mais de celui d’Alphie, la petite fille robot que Joshua doit protéger de divers ravisseurs durant l’intégralité de sa mission.

Comme toujours chez Gareth Edwards (Rogue One, Godzilla…), les plus grandes lacunes de ses projets proviennent de son aspect glouton dont il n’arrive pas à exploiter pleinement les capacités. En effet, à force d’agrandir le théâtre des enjeux de ses récits, de pousser encore plus loin les règles de sa diégèse, le réalisateur empile des personnages dont il ne sait que faire, mélange parfois suspense et tension dramatique – tous les grands pivots narratifs se devinent sans grande difficulté – et semble parfois avoir du mal à enchevêtrer ses séquences avec fluidité pour rendre son ensemble encore plus dense et parfaitement tenu.

Il n’empêche que le long-métrage a pour lui sa candeur, celle de vouloir foncer tête baissée dans nombre des pistes qu’il traite, donnant alors lieu à des images d’une violence parfois surprenante – en l’état, le film s’apparente à un génocide ininterrompu de robots durant presque deux heures – rejouant les heures les plus sombres de l’interventionnisme américain. La direction artistique soignée malgré un budget assez bas pour un blockbuster apporte à l’ensemble une sublime crudité, celle qui émeut et stupéfait dans ses moments d’action les plus enlevés. Résulte de The Creator une volonté de travailler la science-fiction avec générosité, abordant l’intelligence artificielle d’une manière optimiste, sensible et mystique avec honnêteté et beaucoup d’intuition, ce qui permet à John David Washington d’acquérir l’un de ses plus beaux rôles au cinéma.

Bande-annonce

27 septembre 2023De Gareth Edwards, avec John David Washington, Gemma Chan, Ken Watanabe.




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