LA TRILOGIE D’OSLO : RÊVES
Johanne tombe amoureuse pour la première fois de sa vie, de sa professeure. Elle relate ses émotions dans un carnet. Quand sa mère et sa grand-mère lisent ses mots, elles sont d’abord choquées par leur contenu intime mais voient vite le potentiel littéraire. Tandis qu’elles s’interrogent, entre fierté et jalousie, sur l’opportunité de publier le texte, Johanne se démène entre la réalité et le romanesque de son histoire…
Critique du film
Après Désir et Amour, Dag Johan Haugerud achève avec Rêves (Drømmer) sa trilogie d’Oslo. Œuvre discrète, exigeante et profondément humaine, la trilogie s’est imposée comme l’une des propositions les plus fines du cinéma nordique contemporain. Couronné de l’Ours d’or à Berlin, Rêves en est sans doute le volet le plus accessible, le plus émouvant aussi. Un film de silences et de regards, qui explore les lignes floues du désir adolescent et les limites de ce qu’on peut — ou non — partager.
Comme dans les deux autres opus, évoqués précédemment, Haugerud observe ses personnages avec une attention clinique, mais jamais cruelle ou moraliste. Rêves suit une lycéenne de 17 ans, studieuse, discrète, qui tombe amoureuse de son enseignante. Un point de départ délicat, qui pourrait prêter le flanc à la provocation ou à la gravité. Mais chez Haugerud, il n’est jamais question de transgression spectaculaire. Tout repose ici sur les nuances, les non-dits, les gestes retenus et le trouble d’émois grandissants. L’émotion surgit sans s’annoncer, dans l’espace d’un échange de regards ou de déclarations polysémiques.
Ce qui distingue ce volet dans la trilogie, c’est le déplacement du regard. Là où Désir et Amour adoptaient un point de vue adulte, souvent masculin, Rêves épouse celui des femmes. Celui de l’adolescente, dont les sentiments naissants viennent fissurer un quotidien ordonné, mais aussi celui de sa mère et de sa grand-mère, écrivaine, que la lycéenne considère comme une confidente et une figure tutélaire. Ce changement de focale donne au film une forme de grâce flottante, teintée d’incertitude et de candeur, contre-balancée par le regard maternel, bienveillant mais incertain. Le désir ici n’est pas asséné : il est rêvé, projeté, sublimé. Il bouleverse moins par ce qu’il provoque que par ce qu’il révèle : un besoin d’être vue, reconnue, aimée autrement. Une urgence aussi, à exprimer par l’écrit, ce qui ne peut l’être verbalement.
Haugerud retrouve son art de la mise en scène sans afféterie et ses dialogues millimétrés : tout semble conçu pour laisser exister les personnages, sans jamais forcer la narration. Mais cette fois, il y a une légèreté nouvelle, presque onirique, dans la manière dont les scènes s’enchaînent, portées par une photographie diaphane et une bande-son discrète, ponctuée de respirations musicales inattendues.
La jeune Ella Øverbye, déjà aperçue dans Barn du même réalisateur, livre ici une performance d’une intensité rare. Elle incarne le trouble adolescent avec une pudeur bouleversante, tout en intériorité, sans surjouer l’émoi ni atténuer le vertige du sentiment. Face à elle, Selome Emnetu (The fortress, Occupied) compose une figure d’enseignante queer habitée par la retenue, consciente de la dissymétrie émotionnelle et des lignes à ne pas franchir. Leur duo repose sur un équilibre délicat, fait de silences, de micro-gestes, de regards évités : deux solitudes qui se croisent sans se heurter, chacune prisonnière de sa propre position.
Avec Rêves (Drømmer), Dag Johan Haugerud ne boucle pas une trilogie, il l’ouvre sur l’essentiel : ce que l’on ne peut nommer, mais que le cinéma — le sien, du moins — parvient à saisir. Une main qui frôle une autre, un mot qu’on n’ose pas dire, un rêve trop clair pour n’être que nocturne, qui devra inévitablement se confronter à la réalité. Porté par deux actrices exceptionnelles et une écriture d’une délicatesse rare, Rêves est un film sur l’impossible et pourtant, paradoxalement, l’un des plus profondément humains qu’on ait vus ces derniers mois. Une œuvre qui nous regarde sans nous juger, et qui installe Haugerud comme l’un des grands portraitistes de l’intime au XXIe siècle.
Bande-annonce
2 juillet 2025 – De Dag Johan Haugerud