Hors du temps

HORS DU TEMPS

Deux frères, Etienne et Paul, vivent le confinement d’avril 2020 ensemble, avec leurs épouses respectives. Les souvenirs remontent à la surface, et notamment ceux des absents, leurs parents, les voisins… Quel est leur éloignement vis-à-vis de leurs racines communes ?

Critique du film

Il y a une forme de cohérence à ce qu’Olivier Assayas réalise son premier film depuis janvier 2020, Cuban network, sur un sujet comme celui du confinement qui a frappé toute la société française au printemps de cette même année. Cet espace-temps de quatre ans n’a pourtant pas été vide pour le réalisateur de 69 ans, avec la sortie de sa première mini-série, inspirée de son film Irma Vep, réalisé 25 ans plus tôt. On retrouve dans Hors du temps deux similitudes : une veine autobiographique très forte et Vincent Macaigne comme alter ego, ici totalement assumé. C’est la voix du cinéaste qui ouvre le film et le découpe comme autant de liaisons entre chaque parties. Il se raconte, son histoire familiale, sa maison de famille à Montabé, tous inscrits dans ce moment si particulier.

Les seuls différences sont les noms des personnages. Il n’est pas question d’Olivier et de Michka, mais de Paul et Etienne, venus se confiner dans la maison familiale, située dans une petite localité de l’Essonne. Assayas y plante le cadre, comment ils se sont installés dans la vallée de Chevreuse, et la peur, ou plutôt l’angoisse, que lui procure cette vieille bâtisse qui fut autrefois une modeste ferme. Le lieu est idyllique, rehaussé par une saison particulièrement incroyable, comme un pied-de-nez à cette humanité qui a du mettre en pause son activité dévorante le temps de quelques semaines. Chaque scène baigne dans cette lumière et cette nature luxuriante, les couleurs de la végétation irradiant littéralement le plan, rendant presque insolentes ces scènes où chacun se plaint, égrainant ses petits soucis d’enfants gâtés et bien-nés.

Tous ces détails sont autant de poil à gratter qui irritent la rétine et la conscience. Il est en effet difficile de ne pas être agacé par ce défilé de clichés sur la pandémie du Covid, un rappel de la folie qui pouvait régner pendant cette période. La lutte est ici fratricide, entre le frère germophobe, qui problématise chaque geste, et l’autre qui se moque éperdument des obsessions de son frère. En filigrane de chacun de ces instants, on devine les fêlures qui existent dans les relations, que ce soit entre Etienne et Paul, mais aussi dans leur couple, cette cohabitation étant une première pour eux. Familles recomposées, difficultés artistiques et relationnelles, le confinement fait ressurgir tous les impensés du quotidien, qu’il n’est plus question de mettre sous le tapis pour plus tard.

Hors du temps d’Olivier Assayas

Cet après se vit au présent, dans le luxe d’une vie aisée où l’argent ne semble être un problème pour personne. Une scène entre Paul et son ex-femme, quand il est question d’alterner la garde de leur fille, rappelle que les difficultés financières, si elles n’atteignent pas la petite maison francilienne, existent bel et bien pour beaucoup d’autres familles françaises. On navigue donc entre l’agacement et la fascination dans Hors du temps, titre parfaitement choisi pour caractériser l’immobilité qui touche ces personnages. Si la matière autobiographique du film a quelque chose de fascinant, sa nature presque hors-sol a tendance à chasser tout l’intérêt né des premières séquences où Assayas se met à nu, incarnant avec sa voix un narrateur presque touchant.

Le plus notable dans le film est sans aucun doute la dynamique de comédie qui existe entre Vincent Macaigne et Micha Lescot, le premier étant autant un auguste que le second semble être un clown blanc, dans un numéro qui est parfois désopilant. Leurs névroses sont composées en miroir, comme le dit très bien le film, ils sont bien souvent aussi proches que lointains, ce qui rend leur duo passionnant, et permet à cette fiction de ne pas s’enliser dans une description bourgeoise des plus ennuyeuses de ce printemps 2020.


D’Olivier Assayas, avec Vincent Macaigne, Micha Lescot et Nora Hamzawi.


Berlinale 2024




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