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NUIT NOIRE EN ANATOLIE

Ishak vit seul dans la province d’Anatolie et gagne sa vie en jouant du luth dans une boîte de nuit. Un jour, il doit se rendre au chevet de sa mère dans son village natal qu’il a dû quitter subitement 7 ans auparavant. De retour dans son village Ishak est alors confronté à l’hostilité de tous ainsi qu’aux tourments de son propre passé.

Critique du film

Les collines de l’Anatolie, des grottes par dizaines composant un paysage aux allures accidentées et dangereuses, les atours de Nuit noire en Anatolie convoque d’emblée tout un cinéma turc où la violence rencontre une tension dramatique aux contours fragmentés. Ce nouveau film du réalisateur Özcan Alper, chevronné mais peu visible en France, développe une narration ambitieuse qui se nourrit d’un climat politique et social on ne peut plus complexe et tortueux. On y suit Ishak, joué par l’excellent Berkay Ates, musicien originaire d’un petit village anatolien qu’il a dû fuir après un événement dont on tait le dénouement, celui-ci devenant le cœur de l’intrigue, comme une clef pour comprendre les personnages et les enjeux du film.

NUIT NOIRE EN ANATOLIE

Autour de ce non-dit, se croisent deux trames narratives, l’une située en amont du drame qui a poussé Ishak à poursuivre sa vie loin du village, et son retour pour s’occuper des derniers moments de la vie de sa mère, malade. La volonté de l’auteur est, dès lors, moins de créer un mystère insoluble qui serait révélé en dernier lieu, que de faire grossir une somme de détails noircissant le tableau d’une violence banale qui empoisonne toute une population. À l’instar d’un film comme As Bestas, c’est toute une toxicité dans les rapports humains que décrit Alper, ainsi qu’un rejet viscéral de la différence, qu’elle soit le fait de la xénophobie, d’une supposée homosexualité, ou tout simplement d’une jalousie maladive qui pousse à la haine et un désir de mort.

Taiseux, Ishak est un archétype de personnage assez vide pour que le spectateur puisse s’y engouffrer, tout en révélant petit à petit une personnalité qui tranche avec celle du milieu dont il est issu. Patriarcal, voire phallocrate, cette petite communauté se regroupe autour d’un groupe de jeunes hommes, qui contrôle la région d’une main de fer, martyrisant tout ce qui s’apparente à une menace, réelle ou supposée, sans qu’aucun pouvoir publique ne puisse s’y opposer, la loi du nombre et le poids des familles solidement implantées, représentant plus qu’un ordre factice représenté par l’Etat.

NUIT NOIRE EN ANATOLIE

La beauté du film réside dans cette structure binaire, jonglant entre les pans de narration, mais également dans tous ces moments où Ishak s’évade de la micro-société, pour chercher en pleine nature les restes de son ami Ali, jeté dans une crevasse par ces hommes ayant fait de lui un bouc-émissaire parfait pour étancher leur soif de haine. Ces sentiments ignobles sont une magnifique métaphore de la situation politique et sociale en Turquie, qui a vu sa situation s’enfoncer dans l’autoritarisme et un système violent par nature. Là où un Ceylan laisse cette violence au deuxième plan, créant par la même une musique sourde en filigrane, Alper l’incarne dans chaque visage, faisant d’Ali le réceptacle de tous ces maux.

Bande-annonce

14 février 2024 – De Özcan Alper
avec Berkay Ates, Taner Birsel et Sibel Kekilli