Irma Vep -saison1

IRMA VEP

Mira est une star de cinéma désabusée à la fois par sa carrière et sa rupture récente. Elle arrive en France pour incarner Irma Vep dans un remake du classique français du film muet, « Les Vampires ». Au fur et à mesure du tournage, Mira réalise que les frontières entre elle-même et le personnage qu’elle joue commencent à s’estomper et à fusionner.

Critique de la série

En 1996, sortait Irma Vep d’Olivier Assayas, film à petit budget écrit en neuf jours et tourné en quatre semaines, qui raconte la production chaotique d’un remake des Vampires de Louis Feuillade avec pour actrice principale la star chinoise Maggie Cheung (qui interprète son propre rôle) et pour metteur en scène un réalisateur tourmenté campé par Jean-Pierre Léaud. Comédie sans autre prétention initiale que de montrer les coulisses du cinéma français indépendant, l’effervescence et les imprévus d’une production, Irma Vep devient un petit film culte pour cinéphiles et la carte de visite à l’international d’Olivier Assayas. Il faut dire que le film a de quoi séduire par son humour, sa fraîcheur, sa spontanéité, mais aussi par sa créativité, sa réflexion sur le cinéma et sa mise en abyme savoureuse où fiction et réalité se mélange souvent (on se demande si on n’est pas finalement en train d’assister au tournage et à la création d’Irma Vep plutôt qu’au remake des Vampires).

Vingt-six ans plus tard, on est autant curieux qu’étonné de voir Olivier Assayas s’emparer à nouveau d’Irma Vep pour en tourner une adaptation en série pour HBO. On sait en effet le réalisateur plus enclin à développer des projets originaux qu’à faire des remakes. Cependant, le changement de format, de durée et de niveau de production nous incite à penser que cette nouvelle version va nécessairement avoir une dimension différente. Ce que les premiers épisodes confirment d’emblée. En reprenant la même trame, le même état d’esprit, des personnages assez proches sur le papier, Olivier Assayas livre pourtant une vraie réécriture d’Irma Vep, en ancrant sa nouvelle version dans l’époque contemporaine et en accentuant encore un peu plus la mise en abime.

Irma vep série

En effet, la série crée des liens très étroits avec le film d’origine, et si dans le scénario il s’agit toujours du tournage d’une adaptation des Vampires, il est indéniable qu’Olivier Assayas interconnecte plus que jamais la fiction et la réalité, et s’interroge par là même sur sa façon de faire du cinéma et donc d’adapter sa propre œuvre. Au point de reprendre des images du film de 96 et de faire du cinéaste fictif René Vidal le réalisateur d’une précédente adaptation des Vampires à petit budget avec une actrice chinoise dont il a partagé la vie pendant cinq ans (renvoyant à la relation d’Olivier Assayas avec Maggie Cheung). Niveau casting, Alex Descas reprend le rôle du producteur qu’il campait déjà il y a 26 ans, tandis que Nathalie Richard (inoubliable Zoé du film original) fait une apparition dans le troisième épisode. Enfin, la musique de la série est signée Thurston Moore, membre du groupe Sonic Youth dont le morceau Tunic accompagne une des séquences les plus marquantes du film.

Nouvelle ère

Même si Olivier Assayas fait dire à René Vidal qu’il fait un film totalement différent, il semble donc impossible qu’un remake se détache totalement de l’original. Cette question d’émancipation ou non de l’œuvre initiale apparaît d’ailleurs au cœur de la réflexion, là où il y a vingt-six ans on s’interrogeait encore sur la nécessité de faire un remake. Dans le paysage cinématographique actuel, il s’agit plus de savoir réécrire une œuvre et de la rendre plus contemporaine. Ainsi Irma Vep version 2022 est très marqué par les évolutions de l’industrie cinématographique et de la société en général. Si la production est toujours aussi désorganisée et prompte à la confrontation des points de vue artistiques ou des egos, elle intègre des problématiques différentes de celles de 1996 : internationalisation du cinéma (la participation de Mira à une production française est plus naturelle que celle de Maggie il y a 26 ans), importance des plans de carrière, de l’image renvoyée, de la vie privée, questionnements sur le média utilisé et son impact sur l’œuvre (est-ce vraiment le moyen de diffusion qui distingue le cinéma du « contenu » ?), et changements liés au mouvement #MeToo.

Le personnage interprété par Alicia Vikander, digne héritière de Musidora et Maggie Cheung, reflète à lui seul toute cette modernité. Le choix de la comédienne suédoise n’est d’ailleurs pas anodin, actrice majeure de la lutte contre le harcèlement sexuel dans son pays, elle s’identifie comme féministe et œuvre pour l’égalité des sexes dans le cinéma. Et si elle interprète dans Irma Vep une américaine, son origine européenne vient contrecarrer l’hégémonie hollywoodienne sur le cinéma mondial pour faire de la série d’Assayas une production internationale plus que franco-américaine (le casting vient d’ailleurs des quatre coins du globe). Comme toujours chez le cinéaste, on se doute que la comédienne a mis beaucoup d’elle-même dans ce personnage, que le réalisateur a écrit pour elle. Elle livre une prestation solaire d’une Mira décomplexée mais non moins complexe. Derrière son sourire permanent et sa confiance en elle dans la sphère professionnelle, on devine au fur et à mesure des épisodes une femme un peu perdue dans sa vie personnelle. Alicia Vikander s’intègre à merveille parmi les muses d’Olivier Assayas, en filiation naturelle avec Kristen Stewart, irradiant l’écran autant par sa présence que son intelligence.

Irma Vep HBO

L’autre gros point fort du casting (difficile de les citer tous tant celui-ci est riche, réunissant un nombre impressionnant de grands noms français et internationaux), c’est indéniablement Vincent Macaigne. Si son René Vidal a les mêmes caractéristiques sur le papier que celui interprété par Jean-Pierre Léaud (un réalisateur en proie à ses crises de création et à ses angoisses), il lui impose son humour irrésistible, tellement sincère qu’il rend le personnage attachant, proche de nous, bien loin de la version de 1996. Cette sincérité vient aussi du fait qu’il y a autant d’Olivier Assayas que de Vincent Macaigne dans ce personnage de réalisateur tourmenté, réfléchissant en permanence au sens de ce qu’il fait et essayant de faire le meilleur film possible malgré les aléas du tournage.

Le pari semble donc gagné pour Olivier Assayas et sa nouvelle version d’Irma Vep, qui ne dénature en rien le film d’origine mais vient au contraire l’enrichir et lui donner une autre dimension. Comédie truculente lorsqu’elle raille avec bienveillance le milieu de la production française, elle n’en est pas moins une réflexion sur l’art de créer aujourd’hui, sur l’évolution du cinéma et sur l’héritage de son histoire. Porté par un casting de haut vol, Irma Vep déploie un riche éventail de personnages tous plus savoureux les uns que les autres, représentant les femmes et les hommes qui font le cinéma d’aujourd’hui. Bienvenue dans les coulisses du septième art !

Bande-annonce

Depuis le 7 juin 2022 sur OCSD’Olivier Assayas, avec Alicia VinkanderVincent MacaigneJeanne Balibar




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