CANNES 2024 | Sélection de la 77e édition – 2e partie
Dans cette deuxième partie de notre présentation de la compétition officielle de Cannes 2024, il est d’abord question entre retour d’un immense talent et la confirmation d’une magnifique promesse : Jia Zhangke nous fait ainsi la surprise de retrouver la compétition, cinq ans après la présentation des Eternels où rayonnait Tao Zhao, grande actrice chinoise habituée du cinéma du réalisateur d’A touch of Sin (2013). Caught by the Tides sera l’occasion de la voir de nouveau dans un premier rôle où elle joue un personnage traversant un quart de siècle dans une relation amoureuse tumultueuse. Le spectre temporel du film est large et reprend d’une certaine manière toute la filmographie de Jia Zhangke, avec un temps de production égal au scénario du film, dans un style très brut qui va célébrer l’histoire récente de la Chine contemporaine.
Le talent émergeant est celui de Payal Kapadia, et son deuxième long-métrage, All we Imagine as Light. Ce film fait suite à Toute une nuit sans savoir, présenté à la Quinzaine des cinéastes en 2021. Kapadia avait impressionné par la nature hybride de son film et sa capacité à développer un récit ambitieux sur un mode épistolaire époustouflant. Cette nouvelle histoire présente Prabha, une infirmière de Mumbai (la ville où réside la cinéaste), malheureuse dans un mariage non désiré. Le temps d’un voyage avec une amie, elles se retrouvent dans une forêt où se déploient mysticisme et onirisme. Si c’est un tout autre type de projet développé par Payal Kapadia, on y reconnaît une volonté de créer des formes singulières, et si son premier film était imparfait, il était malgré tout une formidable promesse qui ne demande qu’à se concrétiser avec ce second film.
Du côté de la délégation française, on oscille également entre talents confirmés, voire consacrés, et nouveauté déconcertante. Jacques Audiard revient fréquenter la compétition officielle, après le sacre de Dheepan en 2015, avec une fiction très internationale. Emilia Perez raconte l’histoire de Rita, avocate d’un grand cabinet qui défend de gros bonnets de la pègre et autres malfrats en quête de conseils juridiques. Cela l’amène à rencontrer un chef de cartel aux désirs très surprenants pour l’avocate et qui devrait lui permettre de changer de vie. Comédie musicale, thriller policier, ce nouveau film d’Audiard voit Zoe Saldana cotoyer Selena Gomez, entre langue anglaise et espagnole.
Plus surprenante est la sélection du tout premier film d’Agathe Riedinger, Diamant brut. Remarquée en 2018 pour son court-métrage J’attends Jupiter, présenté au festival de Clermont-Ferrand, la jeune cinéaste française est la grande surprise de cette compétition 2024. Diamant brut est une sorte de développement du même concept, l’histoire d’une jeune fille passant un casting pour une émission de télé-réalité, mais dans un format long, à l’instar de ce qu’avait pu faire avant elle Mati Diop avec Atlantique. Au casting, on retrouve Malou Khezibi, Idir Azougli et Andrea Bescond. Souhaitons à Agathe Riedinger autant de réussite pour ses débuts dans le long-métrage que Mati Diop, Grand Prix en 2019.
Enfin, c’est Christophe Honoré et son Marcello Mio qui complète le tableau français de ce cru 2024. À son rythme habituel, c’est un an et demi après le très réussi Le Lycéen que le cinéaste revient avec une fiction toute entière dévolue à la figure de Marcello Mastroianni, par l’entremise de sa fille Chiara, merveilleuse actrice qui décide l’espace d’un été de revêtir l’identité de son père. Le casting est porté au-delà de sa personne par Catherine Deneuve, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud. Cette distribution magnifique, doublée d’une intrigue proche de l’autofiction, sont autant d’éléments qui créent une attente considérable autour du film.
Les quatre réalisateurs restant dans cette première mouture de la liste dévoilée cette semaine pour la compétition officielle, sont tous européens, dans des styles très différents. On a tout d’abord Sean Baker, britannique de retour à Cannes après son Red Rocket de triste mémoire, pour un film appelé Anora. Il y a une forme de continuité entre ces deux projets, le film de 2021 suivant le retour d’un acteur pornographique dans sa ville d’origine, alors que celui de 2024 suit le parcours d’une travailleuse du sexe entre New-York et Las Vegas. Les similitudes s’arrêtent ici, le ton semblant beaucoup plus grave et moins bercé par une ironie mordante comme pouvait l’être Red Rocket.
Sans doute plus intéressant est le projet porté par Miguel Gomes, grand réalisateur portugais qui avait époustouflé la Berlinale 2012 et remporté l’Ours d’or pour Tabou. C’est avec Grand tour qu’il découvre la grande compétition officielle, délaissant la Quinzaine des cinéastes qui avait notamment abrité ses Mille et une nuits. L’histoire se déroule en 1917 en Birmanie, alors que l’Empire britannique exerce toujours un protectorat sur ce territoire oriental. Le film prend des airs de grande virée à travers l’Asie, suivant la fuite d’un officier britannique pourchassé par sa fiancée, bouleversée par sa soudaine disparition.
L’italien Paolo Sorrentino avait beaucoup divisé lors de la présentation de sa Grande Bellezza en 2013. Bien que consacré à Hollywood avec un Oscar du meilleur film étranger, Sorrentino avait peiné à conquérir public et critique avec son style ampoulé et une représentation lourde et muséale de la ville de Rome. Il migre à Naples pour son nouveau film, Parthenope, offrant le premier rôle à Gary Oldman situé au cœur des années 1950. Il est entouré d’une foule d’acteurs et d’actrices italiennes, notamment Stefania Sandrelli et Silvio Orlando. Entre le drame et le film fantastique autour du mythe de la sirène, le récit alternera les séquences en couleurs avec d’autres en noir et blanc.
La britannique Andrea Arnold, qui recevra également le Carrosse d’Or lors de ce Cannes 2024, fera son grand retour en compétition officielle, huit ans après American Honey qui lui avait valu le Prix du Jury. Bird suit la jeune Bailey, douze ans, qui vit dans un squat au nord du Kent avec son frère Hunter et son père Bug, qui les élève seul. Alors que Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer, la jeune fille pubère cherche de l’attention et pourrait bien être tentée par quelques sensations fortes. Pour accompagner la jeune Nykiya Adams, on retrouvera un tandem séduisant composé du prometteur Barry Keoghan (Banshees of Inisherin) et du confirmé Franz Rogowski, dans un film qui devrait rappeler la précédente épopée punk de la talentueuse cinéaste, entre violence et lyrisme.
Enfin, on retrouve un autre habitué de la Croisette, présent désormais presque chaque année en compétition, Kirill Serebrennikov, sorti de Russie où il était assigné à résidence et entravé dans sa liberté et son art. Après les très réussis et surprenants Leto et La fièvre de Petrov, La femme de Tchaïkovski avait dérouté, voire déçu pour certains. Limonov, la ballade d’Eddie prend la forme d’un biopic. Avec son personnage sulfureux et controversé joué à l’écran par Ben Whishaw, on peut espérer de nouvelles folies visuelles qui épouseraient à merveille ce type d’histoire, permettant au genre très compassé qu’est le biopic de ne pas s’embourber dans une narration trop linéaire et prévisible. À noter au scénario la présence de Pawel Pawlikowski, réalisateur remarqué pour Ida (2014) et Cold War (2018).