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ANDREA BESCOND & ERIC METAYER | Entretien (1/2)

Après son succès public et ses récompenses aux César 2019, Les chatouilles de Andrea Bescond et Eric Metayer sort en DVD dans l’hexagone, édité par Orange Studio. Pour l’occasion, et afin de faire le bilan de cette formidable aventure, nous avons rencontré le couple d’artistes derrière cette oeuvre puissante et profondément personnelle… Très généreux et spontanés dans leurs réponses, Andrea Bescond et Eric Metayer se sont livrés sur cette aventure, sur l’adaptation de la pièce en film, de la co-existence des deux oeuvres et des publics différents qu’elles peuvent toucher. Entretien.



Les chatouilles est adapté des Chatouilles ou la danse de la colère. Le titre est différent, j’aurais aimé savoir si cela avait une signification dans l’évolution du parcours ?

Éric Métayer : Ce qui est drôle c’est que l’on s’en est rendu compte après…

Andréa Bescond : Oui ! C’était inconscient mais, au fur et à mesure, on s’est dit qu’il y avait quand même une grosse part de colère qui a été laissée sur le chemin… Tant mieux ! (rires) Même s’il faut s’indigner et rebondir et tout faire pour que tout ça s’arrête un jour. En ce qui nous concerne, on a avancé progressivement et sans vouloir faire un film pédagogique, ce qui est loin d’être le cas et, dans nos parcours personnels, on a un petit peu laissé la colère derrière nous – et surtout moi, de par ce passé… C’était inconscient au début et aujourd’hui on s’en amuse… On se dit qu’il n’y a pas de hasard !

Quel a été le déclic qui a provoqué l’adaptation cinématographique ?

Éric : Le déclic est venu des producteurs des Films du kiosque qui sont venus voir la pièce au festival d’Avignon. Je ne sais pas si on se serait lancés sauf pour un plus grand délire où on se serait amusés à écrire un scénario, et qu’ensuite on aurait éventuellement poussé des portes… Mais cette sollicitation est arrivée alors le « déclic » a été instantané !

Ce qu’on voulait mettre en avant par le film, c’est l’espoir d’aller mieux, l’espoir de se reconstruire…

Concernant le processus de création, en quoi a-t-il vraiment différé entre le spectacle vivant et l’adaptation au cinéma ? Pourriez-vous retracer un peu chaque processus de création ?

Andréa : C’est un énorme travail… On a d’abord voulu monter le film dans la construction, en reprenant l’ordre du spectacle qui joue déjà avec la temporalité. On a obtenu le squelette du film mais on s’est rendu compte que ça ne fonctionnait pas du tout, que l’on ne comprenait rien… étrangement !

On a tout repris de zéro et, finalement, comme le film arrivait quand même trois années plus tard – puisque le spectacle a été monté en 2014 mais que je l’avais écrit en 2012 – on a reformulé la structure du film et on en a profité pour développer des personnages comme celui du père et pour rajouter le rôle de Leny, qui est le compagnon d’Odette. Je disais à Éric : « Mais il faut absolument qu’on parle de toi, de cette relation, de ce droit à l’amour, au fait d’aimer et d’être aimé en retour». C’était fondamental pour moi, il fallait absolument que ce personnage ait sa place, ce qui n’était pas le cas dans le spectacle !

Oui, c’est surtout le point de vue d’Odette dans le spectacle.

Éric : Dans le spectacle, c’est Odette (c’est sa vision), et aussi la mère, parce qu’elle est quand même présente.

Andréa : Dans le spectacle, chez la psy, il y a la mère, oui !

Éric : Donc il fallait reconstruire…. Maintenant, on a construit le film sur une base qui nous permettait d’aller plus loin, d’être encore un peu plus fous, puisqu’évidemment on rentre dans la réalité des choses. Dans la pièce, on inventait tout à partir du moment où on faisait croire à quelque chose qui n’était pas vraiment là. Ce qui nous intéressait, c’était de garder ce fonctionnement de mélange des genres, de mélange de temporalités mais en les visualisant réellement.

Andréa : Ouais, utiliser l’onirisme dans le réalisme en fait.

Éric : Wow, je la reprendrai celle-là ! (rires)

Andréa : Ouais, mais c’est un peu ça en fait !

Éric : C’est un courant maintenant… à la fac de Vincennes ! (rires)

 

Andrea Bescond et Eric Metayer

Photo STEPHANIE BRANCHU

Andréa : Plus sérieusement, on voulait garder l’onirisme, le corps, la folie, par la danse et tout, on voulait garder ça dans un récit qui n’est pas facile à digérer, forcément, et garder l’onirisme et le côté instinctif du corps, du mouvement et de la force vitale, ça permet justement de mieux comprendre l’histoire et de le placer plutôt sur un point de vue de force de vie et d’espoir de vie plutôt que du drame, même si c’est un drame et qu’il faut pas se leurrer. C’est un drame, ça détruit des vies. Mais, ce qu’on voulait mettre en avant par le film et c’est là où ça se rapproche du spectacle, c’est l’espoir d’aller mieux, l’espoir de se reconstruire.

À l’écran vous avez décidé de matérialiser la danse par des passages sur fond noir. Vous n’aviez pas peur de perdre cette énergie par rapport au spectacle vivant qui est beaucoup plus organique ?

Andréa : Bien sûr…

Éric : Le problème du cinéma, c’est qu’il y a quand même un écran. C’est-à-dire qu’il y a une vitre, mais ça amène aussi d’autres choses, en pouvant notamment se servir du gros plan… De pouvoir amener le spectateur vers des choses qui le rapprochaient du personnage, aller chercher des éléments que l’on a envie de montrer plus fortement, on peut changer les couleurs, on peut rajouter du son beaucoup plus fort, on peut faire beaucoup de choses avec le cinéma. Ce sont vraiment deux formes tellement différentes, il y a tant de choses que l’on peut faire dans l’un ou dans l’autre !

Ce n’est pas si cher que ça mais le théâtre donne l’impression aux gens qu’il va falloir s’habiller, prendre la voiture, qu’il n’y a qu’un seul créneau horaire… Le cinéma parait plus libre, il y a plusieurs séances, on peut manger des pop-corn alors qu’au théâtre on peut pas…

Andréa : Oui et puis le cinéma s’y prête… En apportant la danse de manière filmée dans un point de vue cinématographique, on ne perdait pas le côté organique. En revanche, si l’on avait fait une captation du spectacle, avec un plan large et parfois des plans rapprochés, on perdait alors le côté organique !

À ce sujet, je voulais savoir comment vous envisagiez la coexistence des deux œuvres ?

Andréa : Elles sont complémentaires !

Éric : Il y a deux choses. C’est complémentaire, il y en a une qui va bouger puisque le spectacle est repris, ça va évoluer et demeurer un objet qui va pouvoir sûrement susciter encore plus de débats… Pour ce qui est de la danse sur scène, personnellement je la trouve beaucoup plus forte quand elle est ressentie en direct. Le film, c’est autre chose… Le DVD, entre autres, c’est beaucoup plus intime…

Andréa : Là on rentre dans les foyers.

Éric : On rentre dans les foyers et je pense que c’est un moyen d’amener les discussions beaucoup plus personnelles là.

Andréa : Oui, parce qu’aller au théâtre, il faut faire la démarche d’aller au théâtre. Même s’il faut aussi faire la démarche d’aller au cinéma, le théâtre est encore plus « élitiste », entre guillemets. On en est conscients et il y a plusieurs explications à cela, au-delà du tarif. Mais ce n’est pas par manque d’intérêt !

Éric : Ce n’est pas que question de tarif parce qu’il y a quand même parfois des places à 10 euros. Quand le spectacle est gratuit, alors c’est le pire public que l’on puisse avoir parce qu’il a l’impression qu’il peut rentrer et sortir. Ce n’est pas si cher que ça mais le théâtre ça donne l’impression aux gens qu’il va falloir s’habiller, prendre la voiture, y’a qu’un seul créneau horaire… Le cinéma parait plus libre, il y a plusieurs séances, on peut manger des pop-corn alors qu’au théâtre on peut pas… Il y a beaucoup d’explications.

Chez soi, le DVD, on peut s’arrêter, on peut faire « Pfiou attends deux secondes parce que là j’ai un peu de mal », on peut le reprendre, on peut échanger des commentaires, on peut répondre au téléphone ! Mais je ne préfère pas penser à comment sera diffusé le DVD parce que là je vais vivre un cauchemar ! (Rires)

Andréa : « Pause je vais prendre du pop-corn », « Oh nan les gars, un peu de respect ! » (Rires)

Le DVD va permettre une diffusion beaucoup plus large !

Éric : L’écho est beaucoup plus fort !

Andréa : Et il pourrait être diffusé sur plusieurs chaînes, donc forcément…

Éric : Mais comme disait Andréa, quand… En gros sur 400 représentations en… même pas trois semaines…

Andréa : Oui, j’ai dû atteindre, en 400 représentations, 200 000 spectateurs… Un chiffre qu’on a atteint en un rien de temps avec le film et tu te dis « woooow » ! (rires)

Mais je ne troquerai jamais la scène pour le cinéma, peu importe, j’aime les deux ! Et c’est fantastique de faire du spectacle vivant et d’avoir aussi un moment unique avec le public et réciproquement, en fait. Ce sont deux formes totalement différentes, je ne regrette pas du tout d’avoir eu « que » 200 000 spectateurs avec le spectacle (rires) !

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La bande-annonce




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