RÉGINE VIAL | Interview
Pour leur 39e édition, les Rencontres Cinéma de Gindou, ont décidé, selon l’expression de Sébastien Lasserre, qui partage la direction du festival avec Marie Virgo, de faire un pas de côté dans la programmation, en ne mettant pas à l’honneur un·e cinéaste mais une productrice et surtout distributrice, Régine Vial. À travers elle, ce sont les films du Losange, qui fêtent cette année leur 60e anniversaire qui sont aussi mis en lumière. Rencontre avec une femme à l’énergie communicative, qui définit son métier comme un compagnon de route des films.
Nicolas Philibert, Ours d’or à Berlin, les rétrospectives Jean Eustache et Lars von Trier, Barbet Schroeder Léopard d’honneur à Locarno, bientôt Wim Wenders Prix Lumière à Lyon et vous êtes cette année l’invitée d’honneur des 39e Rencontres cinéma de Gindou. C’est une année exceptionnelle pour les films du Losange !
Régine Vial : Oui, je pense que c’est le fruit d’un travail de fond mené depuis plusieurs années autour de notre catalogue. On a de beaux films, ils sont remarqués, vus et aimés. L’Ours d’or pour Sur l’Adamant, c’est formidable. Le film est très fort, Nicolas Philibert n’avait jamais été récompensé dans un grand festival. Le prix nous a beaucoup aidés dans la carrière du film en France et à l’international. C’est le genre de film qui a besoin de ces prix pour être boosté, sinon c’est plus difficile même si l’œuvre de Philibert vit bien notamment parce que les films ne vieillissent pas contrairement à des documentaires plus ancrés dans une époque. On peut revoir aujourd’hui Être et avoir ou Le Pays des sourds, ils sont aussi touchants aujourd’hui qu’au moment de leur sortie.
Vous êtes plutôt une personnalité de l’ombre, avez-vous hésité à répondre favorablement à l’invitation des Rencontres Cinéma de Gindou ?
J’ai accepté parce que c’est les 60 ans des films du Losange cette année et c’était l’occasion de revenir sur l’histoire de cette maison dans laquelle je suis entrée en 1986 pour créer une branche distribution et que je n’ai plus quittée. C’est aussi l’occasion de parler du métier de la distribution qui est mal connu. Et d’en parler du point du vue de Losange, un distributeur indépendant. J’ai été surprise c’est vrai et puis tout le monde m’a dit le plus grand bien de Gindou et je suis ravie d’être là.
Vous disiez lors de la tchatche organisée par le festival que vous travailliez depuis trois ans à glisser le nom de Wenders à l’oreille de Thierry Frémaux pour le Prix Lumière. C’est un travail d’influence ?
Pas d’influence mais d’information. Je dis à Thierry que les films de Wim sont restaurés. Wenders a crée une fondation à Düsseldorf, il y a une dizaine d’années, qui s’occupe, entre autre, de la conservation de son œuvre. Les films sont très bien restaurés. J’ai programmé L’Ami Américain cette semaine (Le festival de Gindou a donné une carte blanche à Régine Vial pour présenter 10 films issus du catalogue du Losange), le film restauré en 4K est un bijou. Thierry aime beaucoup Wim Wenders, il avait deux films à Cannes, c’était la bonne année.
Le Losange a été créé en 1962 par Eric Rohmer et Barbet Schroeder, savez-vous d’où vient ce nom ?
Barbet pensait l’appeler les films du Triangle mais le nom était déjà déposé. Et comme deux triangles forment un losange, il a opté pour ce nom. Et Rohmer a dessiné le logo qui n’a jamais changé jusqu’à cette année pour célébrer les 60 ans.
Quels sont les principaux changements que vous avez pu observer dans le métier de la distribution depuis vos débuts ?
Ce qui a fondamentalement changé, c’est la durée de vie des films. Je me souviens que Festen en 1988 était resté trois mois au Gaumont Opéra. Aujourd’hui, même les blockbusters ne restent pas autant de temps. La date de sortie est devenue essentielle, par rapport à la concurrence. Faire durer les films en salle est une inlassable bataille, semaine après semaine. Cette année, on a assez bien réussi à faire durer Sur l’Adamant, qui avait un bon coefficient province. C’est aussi dû au travail de Nicolas Philibert qui se déplace depuis longtemps pour accompagner ses films, en étant fidèle aux salles. Je crois qu’il y encore un public attaché à des auteurs. C’est aussi le fruit d’un travail que l’on conduit, aux côtés des cinéastes, sur la durée.
Les plateformes ont beaucoup transformé le paysage. Mais pour moi c’est aussi une possibilité supplémentaire de montrer les films. Mubi, UniversCiné ou LaCinétek font un très beau travail. Ce qui me rend triste c’est qu’on ne trouve pas la même curiosité chez Netflix ou Amazon avec qui il est très difficile de dialoguer parce que les personnes qui achètent sont difficiles d’accès et moins curieuses.
Aux films du Losange, il n’y a pas de recette de distribution, c’est du cousu main à chaque fois ?
Oui, chaque film est différent, on travaille sur l’identité du film et on cherche le bon chemin pour l’accompagner jusqu’aux spectateurs.
Comment se passe le travail avec le producteur pour la conception des éléments de communication, affiche, bande annonce… ?
Nous sommes force de proposition et le producteur valide. Et je lui soumets un budget de sortie, je discute avec lui des choix d’orientation de ce budget, plutôt affichage ou achat de bandes annonces par exemple. Aujourd’hui, il faut savoir que les bandes annonces sont payantes dans les salles. J’ai connu un temps où les exploitants les passaient gracieusement parce qu’ils étaient solidaires d’une chaîne. C’est encore le cas pour les salles art et essai, plus pour les circuits. Quant à l’affiche, je dis toujours qu’elle est le timbre poste du film. Par exemple, l’affiche de Caché de Michael Haneke raconte parfaitement ce qu’est le film.
Chaque film est différent, on travaille sur l’identité du film et on cherche le bon chemin pour l’accompagner jusqu’aux spectateurs.
Les films de patrimoine bénéficient parfois de nouvelles affiches lorsqu’ils sont réexploités.
Oui, je sais qu’il y a des agences qui recréent de nouvelles affiches. On me l’a proposé pour les films de Rohmer. Elles sont à la fois collector et plus modernes.
On parle de maison pour les films du Losange comme pour un éditeur de littérature. Et l’idée de catalogue est essentielle pour vous.
Oui, on a un catalogue d’environ 350 films, très organisé par auteurs. J’ai du mal à travailler sur des films isolés dans une filmographie. Les auteurs sont des lignes de force qui constituent la colonne vertébrale du catalogue. Quand Arte diffuse un conte des quatre saisons, il met les trois autres sur sa plateforme, ça a du sens. Un film en entraîne un autre, l’appétit cinéphile grandit comme ça. Et puis il faut sans cesse trouver des idées. J’aimerais travailler avec un musée autour de la question de Rohmer et la peinture, l’impressionnisme, Mondrian… Autour de Wenders, il va y avoir une exposition sur le thème Construire sur les ruines, toutes ces initiatives qui font circuler une pensée forte et pas seulement mercantile, m’intéressent beaucoup.
Quand un·e jeune cinéaste entre au catalogue, vous posez-vous la question d’une cohérence générale ?
La cohérence, c’est nos goûts. Alice Diop, je ne pose pose pas cette question, je prends. Je dirais même au contraire, il faut se surprendre tout le temps, éviter de tourner en rond.
Diriez-vous qu’il y a trop de films qui sortent aujourd’hui ?
C’est une question qui est très complexe. Certainement il y a trop de films, tous ne sortent pas bien. J’entends que tout le monde se réjouit qu’il y ait moins de livres cette année dans la rentrée littéraire. Mais je ne sais pas dire quel film est de trop. Les spectateurs ne peuvent pas tout voir, les journalistes ne peuvent pas écrire sur tout, ils n’ont pas la place. On constate un embouteillage sur les écrans. Peut-être faut-il sortir certains films à d’autres moments, trouver un meilleur équilibre, avec peut-être des mesures ou des aides incitatives. Cette année, le marché américain a saturé la période estivale. Nous, distributeurs français et européens n’avons pas su être présents. Et une nouvelle bousculade arrive à l’automne. On se pose beaucoup de questions autour du calendrier, mettre en place par exemple une régulation avec une instance du CNC où déposer une date. Mais on n’y arrive pas.
Comment travaillez-vous avec la presse ?
On travaille très bien avec la presse qui nous a toujours défendus. On a parfois de mauvaises critiques mais globalement on n’a pas à se plaindre et c’est essentiel pour nous. C’est un espace libre, gratuit et aussi un espace de pensée. Une page dans Le Monde, dans Télérama, ce n’est pas rien, ça permet au film d’être connu. On travaille aussi avec la radio, la télévision et le web. Gustave Shaïmi s’occupe du marketing digital chez nous et on fait très attention à convier les journalistes du web à nos projections presse.
On est toujours étonné de retrouver sur les affiches, les citations de superlatifs qui, soit ne reflètent pas complètement la teneur d’un papier, soit le réduit à sa plus pauvre expression. Vous le faites aussi pour vos films ?
J’essaye de prendre des phrases entières et je demande en général l’accord du journaliste ou du journal. On essaye d’extraire une phrase qui est respectueuse de l’ensemble du papier. On prend aussi souvent des citations de la presse américaine parce qu’elles arrivent plus tôt et sont disponibles au moment où on prépare la campagne d’affichage.
On constate depuis quelques années un goût du public pour les films de patrimoine et un développement de manifestations dédiées. Est-ce que le temps que vous consacrez à la valorisation patrimoniale de votre catalogue a augmenté ?
Absolument, pour mon grand plaisir. On a restauré les films de Jean Eustache, avec l’aide du CNC qui est très importante. Cet été on a aussi sorti la rétrospective Lars von Trier. J’espère que les nouvelles générations vont prendre plaisir à découvrir ces filmographies. L’an passé, La Maman et la putain a fait 35000 entrées. C’est l’occasion de sortir, dans un second temps, des coffrets physiques. Alice Lesort qui s’occupe des ventes internationales, me dit à quel point ces films sont des succès aux États-Unis. Là, on travaille à la ressortie de L’Amour fou de Jacques Rivette. C’est Criterion qui l’a pris là-bas et ils sont persuadés que l’accueil sera bon. Ici, il sera au Reflet Medicis et aussi en province, notamment au programme du festival Play It Again.
Une dernière question, lorsque vous avez évoqué votre parcours, vous disiez jouer, enfant, à la maîtresse d’école et vous avez dit : « je distribuais les cahiers ». Votre destin était déjà tout tracé ?
Ah c’est joli ! En tout cas j’ai toujours eu le goût de la transmission. J’ai un cours à la Sorbonne de production/distribution et j’y tiens beaucoup, j’essaie de partager un peu de mon expérience et de donner du courage aux jeunes qui vont se lancer dans le métier.
Propos recueillis et édités par F-X Thuaud pour Le Bleu du Miroir