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LES 4 ÂMES DU COYOTE

Des activistes amérindiens s’opposent à un projet d’oléoduc sur leur territoire ancestral. Le soir autour du feu, ils se réunissent autour de leur Grand-Père qui leur fait le récit de la Création. Le conte rappelle à tous la place de l’Homme sur la Terre et son rôle dans la destruction de la nature.

Critique du film

La première séquence des 4 âmes du coyote annonce autant le sujet du film que son projet esthétique à venir : des bulldozers s’avancent vers une petite montagne qu’ils s’apprêtent à raser pour construire un oléoduc, mais sont arrêtés par les membres de la population autochtone qui vit sur ce territoire, ainsi que par des militants écologistes venus les épauler. Les traces laissées par les chenilles des engins sur le sol constituent, dans le film, le premier moment où la terre est marquée d’une empreinte, ici mécanique et violente. Ce motif récurrent marque la première étape d’un discours pertinent sur le rapport de l’homme à son environnement, qui est envisagé tour à tour par un prisme économique, social, militaire et évidemment mythologique.

En effet, après la première scène et l’immobilisation temporaire des bulldozers, les natifs américains et militants se réunissent au coin du feu pour écouter un ancien, qui décide de raconter l’histoire de la création du monde, puis du premier homme et de la première femme. Le cœur des 4 âmes du coyote est ce récit dans le récit, dont le personnage principal est – pour un temps – le Vieil homme créateur, le Dieu qui a donné naissance à l’univers. La plasticité du cinéma d’animation est mise à contribution pour illustrer les différentes étapes, de l’apparition d’un océan infini aux premiers continents et la formation du règne animal. La représentation de l’environnement est ainsi ployée par le caractère divin du personnage, qui peut rompre la perspective en tendant les jambes pour traverser de longues distances ou façonner la terre d’un geste de la main pour obtenir un nouveau paysage, voire une nouvelle figure vivante. Cela contribue à l’idée poétique d’une mise en diorama du monde, qu’un Dieu-animateur modifie et réarrange en constatant ses erreurs ou sur la suggestion des animaux auxquels il a donné la vie.

Áron Gauder s’attache donc à mettre en image un mythe de la création différent de celui d’Adam et Ève – tout de même évoqué comme une graine jetée par-delà l’océan qui prend racine dans un autre continent. Ce récit, inspiré en partie par ceux du peuple amérindien Crow, est l’occasion d’opérer un décentrement très humble par rapport aux mythes du monde occidental, et les différents éléments mythologiques rencontrés, qui réinterrogent la place de l’homme dans son environnement et dans le règne animal, trouvent correspondances ou contrepoints dans les références qui sont les nôtres. On retrouve notamment une certaine cruauté propre au mythe avec l’attrait pour la violence et la consommation de chair encouragés par Coyote. Cet être fourbe et manipulateur issu des rêves du Vieil homme créateur joue un rôle plus ambivalent et complexe que le serpent du jardin d’Eden. Personnage à la fois en périphérie du récit et moteur de l’action, il crée sans permission les premiers humains et les incite à transgresser les règles divines. Il intervient régulièrement au cours de la cosmogonie mise en scène par le film comme élément perturbateur ou responsable indirect des événements, de plus en plus dramatiques.

Les 4 âmes du coyote

À ce titre, il est facile de séquencer Les 4 âmes du coyote en « épisodes », comme tout mythe de la création. Le récit adopte donc un rythme particulier, un peu hors du temps, du fait même de son sujet, mais le réalisateur trouve le moyen de lui donner une force politique majeure dans la dernière partie du film : à cause de son comportement, Coyote se retrouve condamné à l’exil et part sur une embarcation en jurant de se venger. Sa traversée de l’océan lui permet de rejoindre un autre continent et de former un trait d’union absolument sidérant entre le récit mythique et la réalité historique. En effet, Coyote débarque dans une Europe en pleine préparation des grandes conquêtes maritimes et assure aux dirigeants, pour éviter d’être condamné à mort, que le continent d’où il vient contient beaucoup d’or. Ce moment marque l’entrée en collision de deux conceptions radicalement différentes du monde. Le temps du mythe est rattrapé par le temps historique, et le petit village paisible construit par le premier homme et la première femme, devenu territoire dont on peut se réclamer propriétaire, se retrouve broyé. La mort et la destruction de ce que le spectateur suit depuis le début, difficilement soutenable, sort les personnages de leur cadre fictif et met au jour une métaphore puissante : s’attaquer à ce couple c’est nier et détruire une civilisation et une façon de penser toute entière.

Le retour au temps présent des bulldozers et de la réserve amérindienne lors de la conclusion du long-métrage met en exergue l’aspect cyclique du récit : le mythe raconté par le vieillard au coin du feu à une incidence directe sur la réalité du monde, les colons européens se confondant avec les hommes d’affaires en costumes venus surveiller le chantier. La cosmogonie narrée par Les 4 âmes du coyote est en quelque sorte une histoire qui accouche d’elle-même, un serpent qui se mord la queue : nous en arrivons encore au même point, au même conflit, à la même situation, et nous y arriverons sans doute encore dans le futur. La question de comment dévier de ce schéma reste dans l’air, et si le film trouve un début de réponse avec une rencontre entre les défenseurs de la réserve et les conducteurs des véhicules de chantier, nous avons encore à réfléchir sur ce que nous pouvons faire à ce sujet dans les fictions et dans la vie.

Bande-annonce

15 mai 2024De Áron Gauder