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CANNES 2023 | Sélection de la 76e édition

Entre surprise et constance, la composition de la compétition officielle de cette nouvelle édition du festival de Cannes montre un équilibre pour le moins intéressant. Un premier regard atteste d’un retour de lauréats passés de la Palme d’or, mais aussi d’une audace assez inhabituelle, tant dans le choix des noms que dans la forme plébiscitée par le comité de sélection. En effet, on trouve tout d’abord des cinéastes chevronnés habitués des honneurs et fastes cannois, avec au premier rang le réalisateur italien Nanni Moretti, grand spécialiste de ce festival depuis une trentaine d’années.

Son nouveau film, intitulé Vers un avenir radieux, le voit revenir vers le registre de la comédie et une fiction très portée sur le monde du cinéma, à la manière d’un Hong Sangsoo où le personnage principal est souvent un metteur en scène se jetant dans une mise en abyme de sa propre condition de faiseurs d’images. Moretti est le personnage principal, secondé par des habitués du cinéaste, Margherita Buy, Silvio Orlando ou encore Mathieu Amalric. Son film précédent, Tre piani, avait peu convaincu et même déconcerté par sa forme assez éloigné du contemporain, tranchant avec le reste de l’œuvre du transalpin. Cette nouvelle étape dans sa filmographie ne peut, dès lors, qu’être un moment à scruter pour attester ou non d’une évolution sensible de l’œuvre de l’auteur de La chambre du fils.

Vers un avenir radieux
Cinq ans après le sublime Poirier sauvage, et dix ans après sa Palme d’or pour Winter sleep, le turc Nuri Bilge Ceylan présentera Les herbes sèches, situé comme tous les films du cinéaste en Anatolie. Il y raconte la rencontre entre deux enseignants, loin d’Istanbul qui n’est qu’une ligne d’horizon, et la renaissance d’un homme qui surmonte sa dépression et son isolement par amour. Peu d’œuvres sont aussi cohérentes et personnelles que celle de Ceylan, qui n’aura eu de cesse que de raconter cet arrière-pays anatolien de manière autobiographique, parfois de façon frontale (comme dans ses premiers films Kasaba ou Nuages de mai), ou bien de façon plus subtile dans ses derniers films déjà cités. À 67 ans, cet émissaire du cinéma turc et d’une certaine vision du contemporain est d’ores et déjà une des plus grandes attentes de la quinzaine.

1984, Paris, Texas, l’année et le territoire de la Palme d’or reçue par l’allemand Wim Wenders en disent long sur l’étendue de sa carrière. Il quitte les Etats-Unis pour rejoindre le Japon avec Perfect days, un récit étonnant aux accents éminemment orientaux. Wenders n’a cessé de voyager par le biais du cinéma, et notamment du documentaire, pour explorer de nouvelles thématiques. En 1985, il avait déjà exploré le Japon pour le film Tokyo-Ga où l’on retrouvait Werner Herzog, et où il parlait d’un des plus grands réalisateurs qui soit, Yasujiro Ozu. C’est par la fiction qu’il réinvestit Tokyo, et par le regard d’un homme travaillant dans des toilettes publiques. Si peu de choses ont filtré sur le film, on peut faire confiance au réalisateur allemand qui a démontré une grande vitalité dans son œuvre depuis vingt ans, tant dans la forme que les choix de ses sujets.


Hirokazu Kore-eda est le dernier des anciens vainqueurs de la compétition, en 2018 avec Une affaire de famille, qui rallie lui aussi cette 76e édition. Après son passage en France et en Corée, avec Song Kangho et Les bonnes étoiles, le rythme ne faiblit pas pour le cinéaste japonais qui a fini Monster. Thierry Frémaux le compare à Rashômon d’Akira Kurosawa pour la pluralité des points de vue proposée, éclatant la narration en plusieurs parties où un personnage raconte la même histoire selon ses propres perceptions et partis pris. Il sera question d’une relation entre un professeur et un élève, avec deux visions différentes d’une même histoire.

Autre représentant de qualité du cinéma italien, le vétéran Marco Bellocchio est sélectionné en compétition pour Rapito, sans doute titré en France sous le nom de L’enlèvement. Déjà présent l’an passé pour sa monumentale série, Esterno notte, le réalisateur des Poings dans les poches a montré une jeunesse et une vitalité hors-norme qui en font l’un des talents les moins médiatisés et pourtant l’un des plus intéressants des 25 ans dernières années. Son film Le traitre, en compétition en 2019, était déjà une surprise magistrale, attestant de toute la maitrise de la mise en scène d’un des grands auteurs de sa génération. L’enlèvement se déroule au XIXème siècle à Bologne, avec une atmosphère politco-religieuse qui sous-entend un rythme et une intensité très attendues. Paolo Pierobon, Barbara Ronchi et Fausto Russo Alesi tiendront les premiers rôles de ce grand film historique.

L'été dernier
Du côté des auteurs et autrices confirmées, on retrouve la réalisatrice française Catherine Breillat, dix ans après son dernier film, Abus de faiblesse. Victime d’un accident cérébral très grave, et à 77 ans, la réalisatrice d’Une vieille maitresse (2007), signe son retour avec l’Eté dernier, où Léa Drucker et Samuel Kircher tiennent les premiers rôles. Si le film est un remake du film danois Queen of hearts de May El-Toukhy, la thématique sulfureuse qui s’en dégage, une avocate a une relation amoureuse avec son beau-fils mineur, a le parfum des sujets qu’affectionne Catherine Breillat et qu’elle a développés tout au long de sa carrière. Cette petite dose de scandale fait toujours le sel d’une compétition et une rupture de ton salutaire au sein de ce type d’événement.

Dans ce registre de la différence et d’un cinéma unique en son genre, Aki Kaurismaki est un autre représentant pour le moins intéressant. À 66 ans, il a représenté son pays, la Finlande, avec une tonalité décalée toujours plus surprenante, où les frontières entre le drame et la comédie sont poreuses et abolies dans bien des situations. Son nouveau film est intitulé Les feuilles mortes et n’a pas vu de détails filtrer à ce jour. Les acteurs Jussi Vatanen et Alma Pöysti incarneront un couple de jeunes gens d’Helsinki dont seule la première photo a été dévoilée jusqu’ici.

les feuilles mortes

Pour compléter le tableau de ces 19 films et cinéastes présentés en compétition officielle, il faut ajouter les deux plus grandes surprises, et aussi deux des projets les plus enthousiasmants de la vitrine de cette édition 2023 du festival de Cannes. Tout d’abord, un premier film sénégalais, après Atlantique de Mati Diop, Grand Prix en 2019, Banel et Adama de Ramata-Toulaye Sy. Co-scénariste du film Sibel de Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti, ainsi que de Notre-Dame du Nil d’Atiq Rahimi, la réalisatrice franco-sénégalaise est propulsée dans le grand bain de la compétition officielle dès son premier long métrage en tant que metteur en scène, ce qui est déjà un petit événement en soi. Histoire d’amour fusionnel entre deux jeunes personnes, le film raconte la pression d’une communauté traditionnelle du nord du Sénégal où il n’y a pas de place pour la liberté de leur amour, dans un univers fait de contraintes, de devoirs et de bigoterie. Ce drame, tourné en Afrique dans le cadre d’une co-production franco-sénégalo malienne, a tout pour intriguer et constituer une belle découverte et un outsider pour les plus grands prix de cette année de festival.

Banel et Adama

Enfin, on retrouve l’immense réalisateur chinois Wang Bing pour Jeunesse, son deuxième film en sélection officielle cette année avec Man in Black, présenté quant à lui en Séance Spéciale. Jeunesse est donc bien un documentaire, catégorie formelle qui se taille une place inédite à Cannes avec deux films, avec le film de Kaouther Ben Hania, ce qui est une immense surprise quand on connait le peu d’attrait du comité de sélection pour le cinéma du réel dès qu’il est question de la sacrosainte Compétition. Wang Bing s’est fait connaître par ses films très longs, comme son chef d’œuvre À l’ouest des rails de plus de neuf heures (2004). Jeunesse serait une partie d’un ensemble plus grand, la longueur du cinéma du maître chinois correspondant mal aux contraintes de la sélection officielle.

Si le nombre de 19 films parait peu en comparaison des éditions précédentes, on peut faire deux constats. Tout d’abord, le souhait de Thierry Frémaux de resserrer ses sélections, le temps du « rattrapage post COVID », selon ses propres mots, étant terminé, mais aussi il reste la possibilité souvent utilisée de voir des ajouts apparaître avant le début du festival. Ainsi, ce ne serait pas surprenant de retrouver un, deux ou trois films pour compléter cette très belle liste, avec pourquoi pas le film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, réunissant Leonardo di Caprio et Robert DeNiro, les deux complices du réalisateur de Taxi Driver. Ce film, produit par Apple et distribué en salle par Paramount, attend toujours un retour du producteur américain pour une éventuelle présence du film en compétition. Toujours est-il qu’en l’état peu de listes furent aussi enthousiasmantes que celle-ci, tant dans les territoires représentés, que dans la variété des formes cinématographiques.


Mise à jour : ce 24 avril, deux longs métrages sont venus compléter la compétition officielle : Black flies de Jean-Stéphane Sauvaire et Le retour de Catherine Corsini. Notons également que le film Élémentaire des studios Pixar a été choisi pour faire la clôture de cette 76e édition, dans la foulée de la cérémonie du palmarès le 27 mai 2023. 


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