CANNES 2023 | La sélection de cette 76e édition
Après deux édition post Covid extrêmement généreuses (pour ne pas dire surchargées) en nombre de films présentés, le Festival de Cannes semble vouloir opérer un retour à un rythme plus traditionnel pour sa 76ème édition. C’est en tout cas ce qu’ont réaffirmé Thierry Frémaux et Iris Knobloch lors de la conférence de presse de présentation de la sélection officielle. Quoi qu’il en soit, la compétition et les sélections parallèles auront à cœur de mettre en avant un panel d’œuvres démontrant toute la vitalité et la vivacité du cinéma mondial. Mais alors, qu’attendre des films qui concourront pour la Palme d’Or 2023 ?
(Enfin) plus de femmes en compétition !
Souvent critiqué pour son cruel manque de parité au sein de la compétition officielle, le Festival proposera cette année pas moins de 6 films réalisés par des femmes. Parmi elles, Jessica Hausner qui viendra défendre Club Zero, un drame en milieu scolaire sur fond de militantisme, qui verra une enseignante opérer une emprise dangereuse sur plusieurs de ses élèves. On imagine aisément la cinéaste autrichienne retrouver le ton ambigu de son précédent long-métrage, Little Joe pour venir questionner le rapport de la jeunesse au monde contemporain.
Lauréate du Grand Prix en 2014 pour Les Merveilles et du Prix du Scénario pour Heureux comme Lazzaro en 2019, l’italienne Alice Rohrwacher viendra présenter La Chimère. L’acteur anglais Josh O’Connor (célèbre notamment pour son interprétation du Prince Charles dans les saisons 3 et 4 de The Crown) y incarnera un archéologue impliqué dans un trafic international d’objets étrusques. Selon les propres mots de la réalisatrice, ce projet formera ‘’la dernière pièce d’un triptyque sur ‘’le territoire’’ entamé avec Les Merveilles’’. En outre, le film devrait aborder en profondeur la notion du passé et de son emprise sur le présent.
Révélée à la semaine de la Critique en 2016 avec Victoria, Justine Triet aura droit aux honneurs de la compétition pour la deuxième fois de sa carrière. Anatomie d’une chute s’intéressera à l’enquête autour du décès d’un homme retrouvé mort au pied de sa maison en pleine montagne. Malgré des circonstances troubles, son épouse se retrouve rapidement inculpée pour meurtre… Nul doute qu’avec un tel pitch, Triet posera une fois de plus un regard féminin sur les mécaniques complexes du couple, loin des clichés et lieux communs. Par ailleurs, la réalisatrice retrouve pour ce film la comédienne allemande Sandra Hüller qu’elle dirigeait déjà dans Sibyl.
Kaouther Ben Hania avait impressionné les festivaliers en 2017 avec le puissant La Belle et la Meute, présenté en section Un Certain Regard. Très engagée sur la question des violences faites aux femmes, la réalisatrice tunisienne revient sur la Croisette avec un projet intriguant : Les Filles d’Olfa. Pour ce documentaire aux frontières de la fiction, la cinéaste a choisi de suivre sur une période de 10 ans le parcours d’Olfa, femme de ménage qui se bat pour faire extrader ses filles, incarcérées en Libye après avoir rejoint Daesch. Ben Hania s’empare d’un sujet fort qui risque de remuer de nombreux festivaliers, sans compter que la réalisatrice semble avoir opté pour un dispositif narratif hybride fascinant. Les Filles d’Olfa s’annonce d’ores et déjà comme l’un des événements marquants de cette édition.
Vétérans…
Comme chaque année, le festival accueillera son lot d’habitués de la compétition. À ce titre, Ken Loach fait office de champion ultime, ayant remporté la récompense suprême par deux fois (Le Vent se lève en 2006 et Moi, Daniel Blake en 2016). Après s’être penché sur les aberrations du système administratif et les dérives de l’uberisation de la société britannique, le cinéaste s’intéressera cette fois-ci aux conséquences de l’immigration de réfugiés syriens au sein d’un petit village sinistré au nord-est de l’Angleterre. On devrait évidemment retrouver dans The Old Oak un ton social très engagé, propre aux derniers travaux du duo Ken Loach – Paul Laverty. Reste à savoir si le tandem s’avérera toujours aussi perspicace dans sa représentation de l’injustice sociale avec ce projet qu’on imagine être un nouveau cri du cœur.
Bien que son dernier passage en compétition n’ait pas marqué les esprits (Le Musée des Merveilles en 2017), le réalisateur Todd Haynes jouit malgré tout d’une filmographie solide, aussi éclectique qu’audacieuse (Safe, Carol). La seule mention de son dernier film en compétition suffit à susciter une vive attention. May December mettra en scène la rencontre entre une actrice et la femme qu’elle s’apprête à interpréter dans son prochain film. Un affrontement aux accents méta dont on ne peut espérer que de belles étincelles, d’autant qu’il sera servi par les non moins incandescentes Natalie Portman et Julianne Moore (grande habituée du cinéaste).
Si une récompense du tapis rouge le plus prestigieux existait, elle serait sans doute systématiquement remise aux films de Wes Anderson. La nouvelle fantaisie du réalisateur texan ne fera pas exception de ce point de vue. Avec sa liste de comédiens renommés plus longue qu’un discours de remerciement et ses premières images au style rétro si cher à leur auteur, Asteroid City ne semble à priori pas marquer un grand renouvellement stylistique dans la carrière du cinéaste. Sacré coup de poker pour l’artisan derrière The Grand Budapest Hotel. D’autant que ce nouveau cru aura pour mission de faire oublier l’accueil plus que mitigé réservé il y a deux ans à The French Dispatch, qui poussait déjà la recette andersonnienne dans des retranchements pas toujours digestes.
… et premiers candidats à la Palme
Figure familière du festival, le réalisateur brésilien Karim Aïnouz se retrouve pour la première fois en compétition officielle avec Firebrand. Pour sa première expérience en langue anglaise, le cinéaste s’est entouré d’un joli casting mené par Alicia Vikander et Jude Law pour raconter l’histoire de Catherine Paar, dernière épouse du roi Henry VIII. La vie tumultueuse du roi ogre et sa relation aux femmes ont été de nombreuses fois portées à l’écran. Plus rares sont les projets focalisés sur l’ultime reine consort. Un choix assumé par le cinéaste qui tenait à raconter l’histoire d’une femme ‘’qui survit au monstre’’ . Une vision résolument moderne qui rend d’autant plus curieux de découvrir ce film, décrit par le réalisateur lui-même comme un ‘’thriller qui se déroule il y a 500 ans’’.
Cette 76ème édition du festival aura le mérite de donner une place de choix à des cinéastes plus rares, à l’image de Trần Anh Hùng. Révélé à Cannes en 1993 avec L’Odeur de la papaye verte pour lequel il avait obtenu la Caméra d’Or, le réalisateur français d’origine vietnamienne foulera le tapis rouge pour La Passion de Dodin Bouffant. Inspiré du roman de Marcel Rouff, ce film historique se penchera sur la relation amoureuse entre Eugénie, une cuisinière et Dodin Bouffant, un gastronome avec qui elle travaille. En explorant le lien qui existe entre l’amour et la gastronomie, Trần Anh Hùng devrait avoir trouvé le matériau idéal pour y insuffler toute la poésie qui émane de son cinéma. Le long métrage sera par ailleurs l’occasion de retrouver le couple Juliette Binoche – Benoit Magimel, 24 ans après Les Enfants du Siècle.
Une vive attente se profile également autour du nouveau film de Jonathan Glazer. Auteur de seulement quatre films en 23 ans, le cinéaste a pourtant laissé une empreinte forte dans la rétine des spectateurs avec le drame métaphysique Birth et l’hypnotique Under the Skin. Pour sa première incursion cannoise, il proposera une adaptation du roman The Zone of Interest de Martin Amis ; l’histoire d’amour ambiguë entre un officier nazi et la femme d’un kapo en pleine Seconde Guerre Mondiale. Un sujet lourd dont le réalisateur devrait s’emparer avec l’approche visuelle et narrative singulière qu’on lui connait.