Sidonie au Japon

SIDONIE AU JAPON

Au cours de son premier voyage au Japon, Sidonie Perceval, écrivaine en promotion, voit le fantôme de son mari alors qu’elle vit une histoire d’amour avec Kenzo Mizoguchi, son éditeur, un homme mystérieux…

CRITIQUE DU FILM 

Troisième long-métrage en près de quinze ans pour la réalisatrice Élise Girard, dans une forme de cohérence, Isabelle Huppert remplaçant sa fille Lolita Chammah, actrice principale de Drôles d’oiseaux (2017). À 70 ans, la grande actrice chabrolienne, l’une des plus belles filmographies du cinéma mondial, continue ses pérégrinations et ne cesse de tourner, que ce soit avec des auteurs et autrices confirmées, ou avec d’autres plus débutants. Cette nouvelle histoire a pour fil conducteur le deuil, et la capacité de Sidonie, écrivaine en hiatus à le surmonter. Au delà de ce postulat assez classique, c’est la forme qui interroge ici, dévoilant un film qui ne cesse de muter et de s’amuser avec ses images et ses idées.

Les premiers instants, une femme arrivant dans un aéroport en retard, prenant par chance son avion malgré tout, se retrouve dans un pays inconnu pour faire la promotion de son premier livre. Ces débuts sont marqués par le vide, les lieux sont déserts, Sidonie est seule dans des lieux traditionnellement bondés par des foules de personnes. La quiétude de l’ambiance donne des accents de conte zen à l’ensemble, comme une musique douce et apaisante jouée pour masser les tempes endolories du personnage principal. Arrivée au Japon, après avoir rencontré son éditeur local, Sidonie est prise dans un mouvement qui prolonge ce sentiment qu’on assiste à une thérapie qui casse le quotidien de Sidonie, voir même une fissure dans le réel.

« Le Japon est le pays des fantômes », c’est ainsi que présente son territoire Kenzo Mizogushi, francophile et francophone hôte de la romancière. Effectivement, au delà des péripéties que va vivre Sidonie, il y a de nombreuses choses qui hantent le plan dès lors qu’on entre à Osaka et que le voyage dans l’archipel est engagé. Le voyage mute étrangement, l’image parfois surexposée soulignant l’aspect fictionnel de l’histoire. Sidonie et Kenzo assis dans leur voiture semblent être en fait sur un canapé très cosy où un simple fond vert déguiserait la route qui s’éloigne derrière eux. Ce choix assumé de suspendre le récit dans un état de conscience de lui-même est là pour mieux souligner tout ce qui se passe dans l’esprit de Sidonie.

Elle a connu le deuil de ses proches toute sa vie ? Le plan fait évoluer un visage en un autre, dans un mouvement réussi qui transforme un mari et un nouvel amant, dans un effet circulaire qui mime le cycle de la vie. De la même façon, les séances de dédicaces sont autant de moments qui interrogent Sidonie sur son état émotionnel et lui permettent de faire le point sur des éléments laissés enfouis depuis longtemps. Le silence qu’elle marque entre chaque question et ses réponses démontrent ce trouble, qu’elle prolonge en répondant avec une franchise déconcertante, que ce soit pour le spectateur ou ses interlocuteurs japonais peu habitués culturellement à de tels épanchements.

Le film demeure fragile malgré tout, notamment à cause de la minceur de son propos et une certaine frilosité à investir pleinement sa thématique fantastique qui est à peine esquissée. L’ensemble reste court et inachevé, même si les idées de mise en scène décrites plus avant permettent à Sidonie au Japon de développer quelques très intéressants moments de jeu entre Isabelle Huppert et Tsuyoshi Ihara, très concentré dans son jeu, lui qui a du apprendre par cœur ses dialogues en français, langue qu’il ignore complètement.


3 avril 2024 – D’ Élise Girard, avec Isabelle Huppert, August Diehl et Tsuyoshi Ihara.


Festival de La Roche-sur-Yon 2023




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