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ANSELM

Une expérience cinématographique unique qui éclaire l’oeuvre d’un artiste et révèle son parcours de vie, ses inspirations, son processus créatif, et sa fascination pour le mythe et l’histoire. Le passé et le present s’entrelacent pour brouiller la frontière entre film et peinture, permettant de s’immerger complètement dans le monde de l’un des plus grands artistes contemporains, Anselm Kiefer.

Critique du film

L’homme qui a filmé le temps a vu l’homme qui l’a sculpté. Poétique et onirique, Anselm est moins un portrait qu’une approche sensible, d’une stupéfiante élégance.

La filmographie de Wim Wenders est devenue une sorte de nébuleuse où le goût du cinéaste pour les nouveaux territoires, narratifs et esthétiques, l’a progressivement éloigné du grand public et des admirateurs de la première heure. Il a cependant renoué avec le succès à travers sa veine documentaire au tournant du siècle avec Buena Vista Social Club. Depuis, Pina ou Le Sel de la terre ont davantage marqué les esprits que Don’t Come Knocking ou Submergence. Doublement sélectionné à Cannes, avec Anselm en séance spéciale et Perfect Days en compétition (reparti avec le prix d’interprétation masculine pour Kōji Yakusho) 2023 sonne comme le grand retour de Wenders dont le Prix Lumière vient couronner la carrière atypique et géniale.

Tragique beauté

Kiefer et Wenders sont tous les deux nés en 1945 dans les cendres d’un pays déconfit et dans l’horreur de la Shoah à jamais rattachée à cette nation. Les deux hommes ont quitté leur terre natale, tôt pour le cinéaste, plus tard pour le plasticien. Mais aucun des deux n’a jamais refoulé ce passé inacceptable. Anselm Kiefer, au contraire, a fait de la mémoire la pierre angulaire de son travail. Le film se déroule à la fois comme une libre circulation dans les œuvres monumentales de l’artiste et les espaces gigantesques que les abritent et une déambulation rêveuse dans les couloirs du temps. Ainsi, Wenders montre d’une part Kiefer au travail, et d’autre part Anselm à travers les âges, enfant, adulte et aujourd’hui. Filmé dans son Royaume, AK ressemble aujourd’hui à un Titan isolé. Son œuvre n’a jamais cessé de dialoguer avec les mythes, et le film s’ouvre précisément sur les statues de figures mythiques féminines auxquelles le film donne voix.

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Le phénoménal travail de montage et de mixage produit un échange fécond entre les œuvres et les inspiration avouées de l’artiste : Paul Celan principalement mais aussi Ingeborg Bachmann ou Milan Kundera. Enfin, la musique du jeune compositeur Leonard Küssner parachève cette alliance des arts en l’augmentant d’un sentiment tragique et l’image 3D donne à la profondeur de champ une forme d’ivresse dans laquelle espace et temps finissent pas se confondre. Les paysages champêtres et forestiers se parent des atours de l’Eden non sans instiller la menace du labyrinthe.

Wenders assume une grande sophistication, loin de la banalité du beau pour donner à voir l’oeuvre de celui qui aura mis sa formidable énergie au service d’une mission : nous rappeler inlassablement à la banalité du mal.

Conscience et mémoire

D’une grande beauté, le film réussit à mettre en évidence un drôle de paradoxe, montrer Anselm à la fois comme un Titan et comme un nain désemparé au milieu de son œuvre faramineuse. On pense à deux références évoquées par Kiefer lors des rares séquences de paroles du film : la Chanson des Nibelungen et l’Être et le néant. Le récit se compose autour de deux fils temporels. L’un, chronologique donne à voir les différents lieux investis par AK, toujours plus vastes, jusqu’aux 40 hectares de La Ribaude à Barjac dans le Gard et les anciens entrepôts de La Samaritaine à Croissy. L’autre déconstruit cette chronologie en mêlant rêve et reconstitution biographique. Espace et temps indissociables, conscience et mémoire comme deux pièces d’un puzzle. L’espace vide de l’enfance et le temps qu’il faut avoir pour allié pour lutter contre l’oubli.

Dans son atelier de Croissy, Kiefer circule à vélo, inspecte les œuvres en cours de création. Tournée quotidienne au cours de laquelle il sacrifie au rituel du salut aux anges, figurés par d’imposantes ailes. Comment ne pas songer à Berlin, à Damiel et Cassiel ? Humain, trop humain. Le plus grand mythe, c’est l’humanité elle-même, confie Anselm, que le sentiment de bannissement n’a jamais quitté. Deux raisons de poursuivre un chemin que ce beau film restitue dans toute sa fracassante grâce.

Bande-annonce

18 octobre 2023De Wim Wenders


Festival Lumière 2023




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