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NOTRE CORPS

J’ai eu l’occasion de filmer à l’hôpital l’épopée des corps féminins, dans leur diversité, leur singularité, leur beauté tout au long des étapes sur le chemin de la vie. Un parcours de désirs, de peurs, de luttes et d’histoires uniques que chacune est seule à éprouver. Un jour j’ai dû passer devant la caméra.

Critique du film

Après la cour de récréation, la Gare du Nord et le Bois de Vincennes, Claire Simon pose sa caméra dans un hôpital et parvient encore une fois à transformer le lieu (du) commun en un passionnant réservoir de trajectoires singulières. Comment naissent les films ? Par hasard, conviction ou accident. C’est par l’entremise de sa productrice, Kristina Larsen, que l’attention de la réalisatrice se focalise sur l’hôpital Tenon. Elle y filme le corps des femmes soumis à question, soin ou modification. Notre corps forme avec son film précédent, Garage, des moteurs et des hommes, un étonnant diptyque de la réparation.

IVG, PMA, FIV

Plus qu’ailleurs, l’intime est ici exposé, mêlé d’angoisses, d’espoir et de confiance. De la consultation au bloc opératoire, le film révèle à la fois une parole experte sans cesse vulgarisée et une formidable qualité d’écoute. Le film agit en ce sens comme un réconfortant contrepoint au discours ambiant sur la crise de l’hôpital. C’est peut-être aussi sa limite. Claire Simon préfère le fragment à l’ensemble, l’observation à l’analyse.

De la naissance à la fin de vie, le film déroule le parcours du combattant auquel les corps des femmes sont confrontés. Ceux des hommes appartiennent soit au personnel soignant, soit aux accompagnants, totalement impliqués mais pas sujets, à l’exception des cas de transition de genre. D’un accouchement aisé et naturel au parcours incertain d’une procréation médicalement assistée, les différentes histoires nous rappellent combien la vie est injuste. C’est pourtant la même intensité qui accompagne les premiers mots de cette maman à sa fille – paix, santé, respect, intelligence – et le processus de fécondation in vitro, du prélèvement de sperme jusqu’au dépôt de l’embryon. Les histoires défilent, aux larmes de cette jeune femme souffrant d’endométriose, qui n’en peut plus de voir sa libido décliner, succèdent le dernier espoir de ce couple quadragénaire puis la fatigue de cette femme enceinte et soignée pour un cancer. Les douleurs, incomparables, remplissent le lieu.

Notre corps de Claire Simon

Corps à corps

Le corps du titre c’est aussi, en creux, le corps médical. Sa grande concentration et son hyper implication pour comprendre, proposer (ou imposer) des solutions, expliquer sans cesse, avec de petits dessins, en faisant appel à des souvenirs scolaires de langue espagnole (l’émotion de ce médecin qui doit informer sa patiente, dans des conditions de communication insatisfaisantes, que l’opération programmée condamnera toute fertilité). Il y a la diffusion du savoir mais aussi la précision des mots et des gestes. On pense à ce médecin qui guide un confrère lors d’une opération : ne dissèque pas, coupe et à l’analogie avec l’art du montage au cinéma.

Plus le film avance et plus le propos se teinte de gravité. Une parenthèse est ouverte pour entendre les revendications de femmes réunies en collectif luttant contre les violences gynécologiques. C’est également l’ombre de la mort qui pèse davantage. Là encore, là surtout, l’écoute et la parole du personnel sont essentielles. D’abord auprès de cette femme qui constate sa dégradation puis auprès de cette autre femme qu’aucun traitement ne semble plus pouvoir guérir. Le film entier est peut-être résumé dans cet échange où une femme médecin avoue n’avoir plus de solution. La maladie a été plus forte que le courage et la médecine. Quelle formation prépare à ce moment ? Comment l’affronter sans s’effondrer ? Toutes questions balayées par l’image, un zoom sur les mains des deux femmes, l’une caressant l’autre avec une extrême délicatesse. Le métier de ne pas toujours préserver la vie.

Claire Simon commence son film à la première personne, en évoquant son père et ses nombreuses années passées dans une chambre d’hôpital. Un je englobé dans le possessif pluriel du titre. En effet, en plein tournage, la réalisatrice passe devant la caméra au moment où un médecin lui apprend son cancer du sein. Elle ne se défile pas et met alors en scène son propre corps en même temps que sa peur et son désarroi face à l’inéluctable horizon d’une mastectomie. La métamorphose de la cinéaste en sujet de son film confère à ce dernier un supplément d’âme en même temps qu’une cruelle ironie sans jamais le vampiriser. C’est un corps supplémentaire parmi la mosaïque de ceux représentés à l’écran dont le film nous rappelle que l’hôpital les reçoit et les assimile dans leur grande diversité, sans jugement, ni esthétique ni moral.

Bande-annonce

4 octobre 2023De Claire Simon


Rencontres de Gindou 2023



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