LA MERVEILLEUSE HISTOIRE DE HENRY SUGAR
Dans cette adaptation de la célèbre nouvelle de Roald Dahl, un homme riche découvre l’existence d’un gourou capable de voir sans ses yeux et entreprend de maîtriser ce don pour tricher au jeu.
Critique du film
La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar et les trois autres adaptations des nouvelles de Roald Dahl, qui succédèrent les jours suivant sa sortie, interviennent à point nommé dans la carrière de Wes Anderson. Aujourd’hui, le cinéaste texan fait partie des auteurs les plus identifiables aux yeux du public, en témoigne la multiplication insensée des reproductions de son style à travers les réseaux sociaux. Que ce soit par des jeunes cinéphiles s’exerçant à pasticher une patte artistique ou une intelligence artificielle imaginant une franchise célèbre par le regard du réalisateur, la Wes Anderson Trend est devenue extrêmement virale en quelques temps. On a tous vu apparaître, sur nos réseaux, un lieu touristique filmé de manière symétrique avec la musique d’Alexandre Desplat. Mais posons la même question que s’est posé Anderson, quand cette viralité lui a été abordée : est-ce vraiment cela ce que fait Wes Anderson ?
Pour répondre simplement : disons qu’il est vrai que nous pouvons immédiatement reconnaître un film de Wes Anderson par sa symétrie, ses couleurs pastels et ses personnages aux costumes bigarrés semblant sortis d’une autre époque. On peut encore plus reconnaître un.e cinéaste qui aura les films d’Anderson comme influence esthétique, comme le film Girl Asleep de Rosemary Myers. Mais cela ne s’apparente qu’à un style, à des éléments visuels (mais aussi narratifs) qui marquent les traces d’un artiste. Et avoir un style reconnaissable ne signifie pas qu’il doit rester figé à l’écran.
Et Anderson devrait n’avoir rien à craindre. Au contraire, jamais un style n’apparaît aussi organique à l’écran à chacune des productions qui en résultent. Ces nouvelles adaptations des écrits de Roald Dahl, plus de dix ans après que le cinéaste ait fait Fantastic Mr Fox (film qui poussait déjà les curseurs du cinéaste, s’essayant alors à l’animation en stop-motion), le confirment : le style d’Anderson paraît de plus en plus radicalisé et retravaillé.
Dans La Famille Tenenbaum, les traits d’un livre cinématographié et théâtralisé se dessinaient. Le titre du film apparaissait matériellement, par un ouvrage que l’on empruntait à la bibliothèque. Chaque segment du film était introduit d’un insert sur la première page du chapitre en question, et Alec Baldwin jaillissait vocalement pour jouer les conteurs narrateurs. De même, le générique d’ouverture présentait les comédiens se préparant à jouer les rôles qui leur ont été distribués. Anderson assumait déjà, plus que dans ses deux précédents longs métrages, les dispositifs artificiels qui servaient à raconter ses récits. Mais, depuis The French Dispatch, le cinéaste allie plus radicalement cette mécanique visuelle et narrative aux substances dramatiques des récits qu’il livre, avec notamment une idée qui sera au cœur des histoires de Dahl racontées dans cette sélection : qu’advient-il de celui ou celle qui raconte le récit ?
Cet ensemble d’histoires, dont chacune est parue sur Netflix tel un calendrier de l’Avent avant l’heure pour les admirateurs du cinéaste, vient étudier cette question avec brio. La Merveilleuse Histoire d’Henry Sugar, film de la collection mis en avant par sa durée (40 minutes, alors que les autres durent un quart d’heure chacun), est un conte à tiroirs où la part du conteur possède la plus haute importance. Dans un dispositif théâtral, le récit moral d’un homme riche qui va apprendre à devenir généreux et se voit poser plusieurs questions : à quoi est destiné le fait de raconter une histoire, un phénomène ? Quelle conséquence cette transmission peut avoir sur un individu ?
Les autres courts-métrages ouvrent d’autres pistes réflexives sur la narration : Le Cygne, second court-métrage à être sorti, devient un véritable exutoire de la part d’un narrateur (sous les traits adultes de Rupert Friend) harcelé pendant son enfance. Le Preneur des rats joue sur l’importance des mots, en permettant à la narration de nous laisser imaginer la situation de plus en plus horrifique qui est racontée. Et la présence, dans chacun de ces contes, d’un Roald Dahl joué par Ralph Fiennes, dirige les réflexions vers le choix d’un auteur à raconter ses histoires. Ces pistes, prouvant déjà un renouvellement créatif de l’auteur, ont en plus l’intelligence de ne pas être exclusivement théoriques. La diversité des histoires racontées autorise Anderson à aller vers d’autres registres pour son cinéma : notamment, celui de l’horreur, par la dimension macabre des histoires de Dahl.
On quitte alors cette sélection de court-métrages avec la joie de découvrir un cinéaste qui s’amuse de plus en plus à repousser les limites d’un style auquel on le cloisonne tant dans l’imaginaire collective.
Bande-annonce
27 septembre 2023 (Netflix) – De Wes Anderson, avec Benedict Cumberbatch, Ralph Fiennes, Ben Kingsley