featured_assayas-olivier-portrait

OLIVIER ASSAYAS | RÉTROSPECTIVE #6

La musique par le cinéma.

Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, le cinéma d’Olivier Assayas est indissociable de sa passion pour la musique. Celui qui a grandi avec le rock anglais et américain des années 70, mais aussi les premières musiques électroniques, est resté fidèle à sa curiosité et son exaltation d’adolescent, offrant encore aujourd’hui à la musique une place majeure dans sa vie et dans sa dynamique créatrice. Un dernier article dans notre rétrospective s’imposait donc pour aborder ce rapport particulier du cinéaste à la musique.

1. Inspiration musicale

Sur quatre courts-métrages que compte le début de carrière d’Olivier Assayas, deux sont consacrés à la musique. Rectangle – Deux chansons de Jacno illustre en images deux titres du musicien Jacno et s’apparente à une sorte de clip avant l’heure ; tandis que Winston Tong est un documentaire sur l’enregistrement du premier album solo du chanteur de Tuxedomoon. Ainsi, la musique a très rapidement occupé une place de choix dans le travail du réalisateur, et la suite de sa carrière ne fera que confirmer cette tendance. Deux de ses fictions prendront pour cadre le milieu du rock (Désordre, Clean), et la musique de son adolescence sera au cœur de L’Eau froide. Par ailleurs, le réalisateur réalisera deux documentaires en rapport avec la musique. Eldorado, dans lequel il revient sur la création du ballet du même nom par le chorégraphe Angelin Preljocaj, et pour lequel il met en parallèle la conception des danses et le travail du compositeur Karlheinz Stockhausen ; et Noise, la captation, caméra à l’épaule et au plus près des artistes, de plusieurs concerts du festival Art Rock de 2005, à la programmation duquel Olivier Assayas avait participé. D’autre part, le réalisateur fera très souvent appel à des artistes issus de la scène musicale, que ce soit lors de séquences musicales (The Woodentops dans Désordre, Metric et Tricky dans Clean, Elli Meideros dans Fin août, début septembre, Johnny Flynn dans Après mai…) ou simplement en tant qu’acteurs, pour des rôles plus ou moins importants (Etienne Daho, Jeanne Balibar, David Roback, Elli Meideros, Kim Gordon, Kyle Eastwood, Julia Hummer, Johnny Flynn, Benjamin Biolay, James Johnston…). Inversement le cinéaste n’hésitera pas à faire chanter des acteurs, comme Wadeck Stanczak dans Désordre ou Maggie Cheung dans Clean.

La seule entorse à cette règle, le réalisateur la fera pour demonlover. Il fait appel au groupe de rock expérimental Sonic Youth pour composer la bande son de son thriller cybernétique. Cependant cette entorse n’en est pas vraiment une, la partition de Sonic Youth s’apparentant plus à une ambiance sonore qui fait partie intégrante du processus créatif et qui vient se mélanger avec le reste du montage sonore du film. Le réalisateur et le groupe ont travaillé en étroite collaboration, la composition n’ayant pas été faite une fois le montage terminé, mais en même temps que le tournage. « Je leur envoyais des rushes, et eux renvoyaient des sons, ou des mélodies, que les comédiens écoutaient ensuite sur le tournage »* explique Olivier Assayas. « La musique était ainsi beaucoup plus active dans le film, le son était vraiment à égalité avec l’image. »*

Cette façon d’utiliser la musique sur le tournage, le cinéaste l’a expérimentée dès L’Eau froide, pour réaliser la séquence de la fête. Il diffusait les morceaux sur le plateau, influençant ainsi le jeu des acteurs et les mouvements de la caméra. L’ensemble de la séquence s’est alors construite au rythme des musiques, qui se sont substituées au scénario. Il réutilisera le même procédé pour réaliser la scène du bal des Destinées sentimentales.

La musique apparaît donc comme une source d’inspiration majeure pour Olivier Assayas et peut même occuper une place à part entière bien en amont dans le processus créatif. La séquence d’Irma Vep où Maggie Cheung sort de sa chambre dans sa combinaison en latex pour hanter les couloirs et les toits de l’hôtel, a été inspirée par le morceau Tunic de Sonic Youth, qu’Olivier Assayas écoutait au moment de l’écriture du film. À l’image de « la construction en spirale »* du morceau, Maggie Cheung est soumise à un « vertige, (…) une force centrifuge qui la fait sortir de sa chambre »* et la pousse à « donner vie, dans la réalité, au personnage pourtant fictif d’Irma Vep »*, explique le réalisateur. De même, il a construit Paris s’éveille en s’inspirant d’un morceau des Clash, Career Opportunities. Le réalisateur, sortant de l’échec de L’Enfant de l’hiver remonté contre l’industrie cinématographique, voulait mettre à profit sa frustration et sa colère pour écrire son film suivant : « comme les morceaux de punk rock, jouer très vite, très fort, sur quelques notes, et prendre les règles du jeu à contre-pied »*. 

La façon qu’à Olivier Assayas d’appréhender la musique dans son cinéma est ainsi à l’image de sa volonté de liberté créatrice, de sa curiosité artistique également, de sa façon d’appréhender l’art en général et de s’en inspirer ou encore de l’utiliser comme vecteur de ses propres émotions.


still_maggie-cheung-clean

2. De Désordre à Clean, le film rock à contre-pied.

Lorsqu’il se lance dans l’aventure de son premier long-métrage, Olivier Assayas puise assez naturellement son inspiration dans ce qui l’a bercé dans son adolescence et inscrit son film dans un milieu qu’il connaît bien. Ainsi Désordre aura pour cadre le milieu du rock et racontera l’histoire de jeunes musiciens à la frontière entre l’adolescence et l’âge adulte.

Désordre est ainsi baigné d’une ambiance rock par son image très sombre, avec ses couleurs désaturées ; par son côté un peu destroy où la mort plane, entre un meurtre, un accident et un suicide (référence directe à la mort de Ian Curtis) ; par ses voyages de Londres à New York, lieux mythiques du rock ; par sa jeunesse à une période charnière de la vie, celle de tous les possibles ; ou encore par sa bande originale qui reprend plusieurs titres de New Order et Pere Ubu. Mais tout ça n’est peut-être qu’un leurre et pourrait vite vaciller comme le laisse déjà sous-entendre le titre Désordre. L’ouverture du film confirme cette tendance avec ce meurtre involontaire qui va vite révéler les tourments intérieurs de chacun des personnages, et s’imposer comme le point de départ de la scission du groupe d’amis.

Ainsi, situé à un période où le rock révolutionnaire est en train de disparaître, Désordre prend plus l’apparence d’un mouvement sur le déclin, et sonne par ailleurs comme la fin d’une époque, lorsque les idéaux de la jeunesse disparaissent pour laisser place à la réalité de la vie adulte. « Désordre a été perçu comme un film rock alors que pour moi c’est un film antirock, (…) il ne raconte que le trajet des utopies collectives de la jeunesse vers la solitude de la maturité. »* confirme Olivier Assayas. Alors que le jeune groupe du film devrait hypothétiquement passer sur le devant de la scène, il se délite finalement petit à petit, chacun des membres quittant à son tour l’aventure, pour rentrer dans les rangs de la société. Même le leader Yvan, celui qui avait sûrement le plus les moyens de ses ambitions, finit par abdiquer, broyer par le monde qui l’entoure.

Mais sa relation avec son assistante témoigne aussi, d’une part, d’un besoin de compenser la solitude qu’engendre le monde impitoyable de l’industrie cinématographique et, d’autre part, d’une forme d’infantilisation à force d’être mise sur un piédestal. Dans la deuxième partie du film, lorsqu’il plonge dans l’intimité de la star, loin des flashs, Olivier Assayas scrute alors, avec un regard bienveillant cette fois, cette fragilité des actrices. Il y dépeint une Maria en pleine crise identitaire qui prend conscience, à travers le personnage de la dominée Helena, du temps qui passe, d’une page qui se tourne et de la fugacité du vedettariat.

Alors Olivier Assayas ne propose-t-il à cette jeunesse qu’un sombre horizon qui ne sera fait que de désillusions ? Par nécessairement, Désordre déjouant les codes scénaristiques du cinéma. Le personnage principal n’est peut-être pas celui sur lequel on s’était focalisé au début. Dans l’ombre d’Yvan pendant la première partie du film, c’est finalement du discret Henri que viendra la lueur subsistante d’une possible renaissance. Désordre raconterait finalement le voyage de celui qui n’abdique pas et qui, malgré les épreuves de la vie, trouve l’espoir d’une vie à écrire sous les traits de son amour de jeunesse.

Lorsque, presque vingt ans plus tard, Olivier Assayas décide de planter de nouveau sa caméra dans l’univers du rock, c’est sensiblement le même type d’histoire qu’il raconte. La rockeuse has-been qu’incarne Maggie Cheung dans Clean pourrait d’ailleurs avoir percé à l’époque des protagonistes de Désordre, et est un peu l’image de ce qu’ils seraient devenus s’ils avaient persisté dans la musique.

Tout comme dans Désordre, Olivier Assayas utilise les codes du film rock pour mieux les démonter. Clean s’ouvre sur une séquence de concert dans un décor industriel, en plein cœur de l’univers du rock underground. Emily, interprétée par Maggie Cheung, y évolue en tant qu’ancienne chanteuse mais surtout épouse de Lee, une rock star sur le déclin. Le réalisateur plante sa caméra de manière quasi documentaire dans ce milieu (en inclus notamment de véritables artistes de la scène musicale à son casting), tout en en surlignant les archétypes. Emily et Lee sont ainsi accros à la drogue et voués à l’autodestruction. Indubitablement Lee succombe à une overdose, qui va devenir, tout comme le meurtre dans Désordre, l’élément déclencheur d’une quête de renaissance pour Emily.

Désordre montrait le déclin du rock au milieu des années 80, Clean est un portrait vingt ans plus tard de ce qu’il a été et de ce qu’il est devenu. Olivier Assayas démystifie le rock à travers le personnage de cette femme broyée, qui porte en elle tout l’héritage d’un univers qui l’a portée avant de la détruire, tout comme l’a fait la drogue. Le monde qu’elle a connu n’existe plus vraiment, ses représentant ont soit rejoint les rangs du système de l’industrie du disque (Jeanne Balibar dans un contre-emploi savoureux), soit sont restés fidèles à ce qu’ils étaient mais sont retournés dans l’ombre et ne se font plus d’illusion (Béatrice Dalle, magnifique en icône repentie). Emily a été remplacée par une nouvelle génération d’artistes et n’apparaît plus que comme une image empreinte de nostalgie mais totalement dépassée. Alors quand elle se voit obligée de soigner son addiction à la drogue, elle va en même temps devoir se désintoxiquer de son passé dans le milieu du rock, pour revenir à la réalité et chercher une voie de sortie vers une nouvelle vie.

Au même titre qu’Henri dans Désordre, c’est au terme d’un voyage aux quatre coins du monde, qu’Emily va retrouver l’espoir d’un futur. Ce voyage s’apparente à celui qu’elle doit faire à l’intérieur d’elle-même pour retrouver la femme derrière l’image que lui a collé le monde du rock. Le retour à la réalité ne se fera pas sans douleurs, mais le pardon d’un homme, le père de celui qu’elle a aimé (Nick Nolte, grandiose), va lui ouvrir la porte de la réconciliation avec elle-même. Et l’espoir prendra les traits d’un enfant, celui qu’elle a eu plusieurs années auparavant avec Lee, et qu’elle avait abandonné à sa belle-famille.

Si Clean s’inscrit parfaitement dans la cohérence de la filmographie d’Olivier Assayas, regroupant de nombreux thèmes chers au cinéaste, et s’inscrivant toujours dans la même démarche créatrice empreinte de liberté et d’inconscient, il occupe une place à part. Le réalisateur y dresse en effet le portrait le plus touchant et émouvant de tous ses films. S’il a souvent fait preuve d’énormément de délicatesse (de L’Eau froide à L’Heure d’été, en passant par Les Destinées sentimentales), il semble dans Clean entièrement dévoué au personnage d’Emily, interprété par une magnifique Maggie Cheung, touchante de fragilité. Malgré une part autobiographique moindre comparé à d’autres de ses films, Clean serait peut-être au final celui où Olivier Assayas dévoile le plus ses émotions…

olivier-assayas-tournage-sils-maria

* Les propos d’Olivier Assayas, ainsi que les faits biographiques sont extraits de l’ouvrage « Assayas par Assayas – Des débuts aux Destinées sentimentales » par Olivier Assayas et Jean-Michel Frodon, édité aux éditions Stock.

 separateur

Fin de notre rétrospective consacrée à Olivier Assayas. Pour conclure, découvrez notre passionnante interview du réalisateur, à quelques jours de la sortie de son nouveau film, Personal Shopper, qui a lui a permis de décrocher le Prix de la mise en scène.

> > > À lire aussi : la critique de Personal Shopper

Bravo à notre rédacteur Fabien Genestier, aka Squizzz, pour ce remarquable travail de recherche et de rédaction. 



0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
%d blogueurs aiment cette page :