SIDSE BABETT KNUDSEN | Interview
Rencontrée sur les toits du Palais des festivals à Cannes après la présentation mondiale de L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier, Sidse Babett Knudsen évoque avec humour et acuité son personnage, Liv, l’épouse du grand architecte Johan Otto von Spreckelsen, et sa manière d’aborder un rôle de l’ombre, complexe et fidèle. L’actrice danoise, inoubliable Brigitte Nyborg de Borgen, revient aussi sur sa relation au cinéma européen et sur les différences de mentalité entre la France et le Danemark.
Comment êtes-vous arrivée sur ce projet très particulier, qui construit un pont entre la France et le Danemark ?
Sidse Babett Knudsen : Stéphane m’en a parlé il y a longtemps. J’ai lu le scénario, que je trouvais très ambitieux. Je me disais : “C’est un projet qui va coûter très cher !” (rires). Mais il écrivait avec une grande précision, beaucoup de niveaux, de couches de lecture dans ce qu’il écrit. Et puis, je l’ai rencontré au Danemark, où j’ai tout de suite senti cette différence de mentalité. En France, vous êtes « rêveurs ». Au Danemark, on est beaucoup plus pragmatiques. Si le film avait été danois, on aurait tout de suite dit : “C’est trop cher, faisons ça dans une cuisine.” (rires) J’aime ce côté rêveur et audacieux de la France.
Stéphane Demoustier est décrit comme un réalisateur très calme, presque zen. C’est votre impression aussi ?
S.B.K. : Absolument ! C’est sans doute la personne la moins névrosée que j’aie rencontrée. Quand on lui disait : “C’est un peu cher”, il répondait simplement : “Je change des choses, ce sera mieux.” Et il avait raison ! Parfois, les contraintes créent la créativité. On s’en est rendu compte sur ce tournage.
La loyauté, c’est ce qui me touche le plus chez les personnages.
Vous incarnez Liv, l’épouse de l’architecte, une femme de rigueur, de compromis et de loyauté, que l’on peut voir comme une sorte d’anti-Brigitte Nyborg, plus en retrait, mais tout aussi lucide. Vous aviez ce parallèle en tête ?
S.B.K. : Au contraire, je la trouvais très différente. Liv, c’est vraiment “la femme de”. On a beaucoup parlé de cette unité avec Stéphane, de cette entité qu’elle forme avec son mari. C’est un couple très uni, presque une seule entité. Ce n’est pas du tout Borgen. Ici, elle tient tout ce qui est concret, pratique, réel. Elle essaye de garder le contact avec la réalité quand lui s’en éloigne. Elle est son phare, en quelque sorte. Ce qui m’a touchée, c’est cette loyauté. C’est très important pour moi. Quand il y a une brèche dans la loyauté, c’est très blessant. Et je trouvais intéressant de la montrer dans toute sa subtilité.
Le film aborde aussi la question du sacrifice dans l’art et de la fidélité à ses valeurs. Avez-vous, comme Otto, déjà renoncé à un projet pour rester en accord avec vous-même ?
S.B.K. : Non, je n’ai jamais abandonné un projet. Mais c’est vrai qu’en tant qu’actrice, on se donne entièrement, avec confiance. Et parfois, les choses changent : une scène peut être coupée, un film peut ne jamais sortir. Il faut apprendre à l’accepter. C’est dur au début, mais ça fait partie du métier.

Vous jouez aux côtés de comédiens très différents : Swann Arlaud, Xavier Dolan, Michel Fau… Comment avez-vous vécu cette expérience collective ?
S.B.K. : C’était fascinant. J’avais l’impression qu’on parlait tous le même langage, même si on venait d’horizons très différents. Xavier Dolan, je l’admire depuis longtemps comme réalisateur. Je ne l’avais jamais vu jouer avant, et il est incroyable, très courageux. C’est quelqu’un de profondément humble et sensible. Swann Arlaud aussi est très touchant. J’étais très heureuse d’être entourée de cette diversité d’acteurs, chacun avec son énergie.
Le film commence comme une comédie et glisse peu à peu vers la tragédie. Il y a une forme d’ironie subtile dans le ton.
S.B.K. : Oui, c’est vrai. C’est drôle, mais dans la subtilité. Il y a de l’humour, du naturel, et en même temps une vraie mise en scène, une composition très réfléchie. Ce n’est pas un hasard si c’est un film sur l’architecture : il y a des lignes, des cadres, une rigueur. Mais tout cela reste élégant et fluide.
J’appartiens à cette génération née avec le Dogme 95. On a appris à être responsables, à s’entraider. On fait partie de l’histoire, on n’est pas juste des corps devant une caméra.
Vous évoquiez les différences entre la France et le Danemark. Ce rapport au rêve, au pragmatisme, influence-t-il votre manière de travailler ?
S.B.K. : Oui, sans doute. Je trouve qu’au Danemark, tout est plus simple, plus direct. C’est un petit pays, on se connaît tous, la hiérarchie est moins rigide. Les productions sont plus plates, plus horizontales. On peut aller parler à n’importe qui. Il y a une proximité, une responsabilité partagée. Mais j’ai besoin de faire autre chose aussi. Si je ne faisais que des productions danoises, je m’ennuierais. J’aime sortir de ma zone, rencontrer d’autres mentalités. Cela m’enrichit.
Lors de notre premier entretien, il y a quelques années, vous disiez être un peu déçue par la qualité de certaines productions scandinaves actuelles…
S.B.K. : Je parlais surtout du fait qu’on produit trop, partout, pas seulement dans les pays nordiques. Il faudrait produire moins, mais mieux. C’est tout. (sourire) Ce dont je suis fière, c’est que malgré notre petite taille, on existe toujours sur la carte. Et je pense que notre taille nous permet de laisser mûrir les projets, de prendre le temps. J’appartiens à cette génération née avec le Dogme 95. On a appris à faire partie du récit, à être responsables, à être à l’heure, à s’entraider. On fait partie de l’histoire, pas juste des corps devant une caméra.
Vous tournez actuellement une série, c’est bien ça ?
S.B.K. : Oui, Kill Jackie*. C’est une série d’action-comédie avec Catherine Zeta-Jones ! Ce n’est pas un premier rôle, mais c’est très drôle. J’aime alterner entre cinéma et télévision. J’ai besoin d’expérimenter, de rester curieuse.
* La série sera diffusée en 2026 sur Prime Video
Interview réalisée le 17 mai au Festival de Cannes






