THE CORD OF LIFE
Alus, un jeune musicien urbain, retourne dans la steppe mongole, sa terre natale, pour accompagner sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Pour éviter qu’elle ne se perde, Alus est parfois contraint de l’attacher avec une corde. Ils entament ainsi un voyage à deux à la recherche d’un arbre légendaire, « yin-yang ».
Critique du film
L’identité se façonne à travers les âges, qu’elle soit collective ou individuelle. The Cord of Life vient poser une terrible question : que reste-t-il de cette identité quand les souvenirs s’effacent, que la mémoire s’amenuise et que l’être se désagrège ? Sans vraiment chercher de réponse, les personnages du premier long-métrage de Qiao Sixue tentent plus que jamais de forger leur propre identité, en mêlant nouveauté et ancienneté. Le passé devient une quête tournée vers l’avenir, à laquelle on ne peut accéder qu’en acceptant qu’il finira oublié, métamorphosé en quelque chose qu’on ne reconnaît plus — et, quelque part, tant mieux.
Dans The Cord of Life, la cinéaste choisit sciemment les éléments qui interagissent entre eux. Les protagonistes forment d’emblée un duo contradictoire : d’un côté, Alus, chanteur et compositeur de musique électro, clairement ancré dans l’air du temps ; de l’autre, sa mère, femme âgée originaire de Mongolie, autrefois adepte d’un mode de vie nomade désormais révolu. Cette ambivalence dépasse la simple fracture générationnelle, c’est le monde lui-même qui a changé autour d’eux. Alus s’y est adapté, tandis que sa mère, rongée par la maladie, s’en est progressivement détachée.

L’évolution devient donc le maître mot de l’œuvre, en témoigne une mise en scène qui prend souvent du recul, exposant les vastes steppes autrefois vierges, désormais parées de champs d’éoliennes — ultimes preuves d’un changement en marche, inarrêtable. La traversée en side-car, chevauchée contemporaine des peuples mongols, vient en poser le constat définitif : si l’équidé de chair a disparu, la yourte est toujours bien là, une fois le refuge atteint. Ce métissage entre héritage et modernité porte le film vers un équilibre bienvenu. Le temps s’arrête, le temps d’un périple naturel. « Je peux faire de la musique partout », s’exclame Alus, alors qu’il doit prendre soin de sa mère au paroxysme de la dépendance. Dans cette phrase spontanée transparaît l’énergie qui anime toute l’œuvre : on ne se comprend plus, on ne se souvient plus, mais on peut toujours prendre soin l’un de l’autre. Le temps passe, mais l’affection, elle, résiste à l’érosion.
La métamorphose prend une forme d’une douceur extrême, surtout lorsqu’elle devient musicale. Presque mutique, la mère d’Alus livre le cœur de sa pensée à travers ses chants, seul souvenir demeuré intact parmi les méandres de sa mémoire. Le lien d’âme entre elle et son fils grandit, suivant une filiation millénaire. Les instruments électroniques employés par Alus prennent un nouveau sens : ils ne sont pas seulement le produit de leur temps, mais les prolongements modernes de traditions anciennes, visuellement modifiés, mais toujours chargés d’histoire.

Le morin khuur du musicien devient symbole de passation. Ses sons électroniques, a priori éloignés des cultes de ses ancêtres, s’avèrent finalement être le digne héritage d’un peuple condamné par l’urbanisation et la sédentarisation. Cet espoir, celui que rien ne se perd et que tout se transforme, constitue la véritable force motrice du voyage de ces deux âmes opposées par l’époque. Ainsi s’étend « la corde de la vie », fil culturel tissé à mesure que les steppes s’étendent, que le vent emplit l’espace et que la musique terrasse les mots.
The Cord of Life n’est pas un coup d’éclat. Au contraire, l’œuvre s’épanouit dans une certaine lenteur, réussissant à faire évoluer personnages et coutumes sur la durée d’une heure et demie. Les figures protectrices s’inversent, la mère devient fille et le fils devient père. Le rituel final prend la forme d’une fête de famille à travers les âges. La Mongolie a changé, lentement, autour d’un peuple en décalage avec les modes de vie du XXIᵉ siècle, mais ce dernier n’est pas pour autant voué à disparaître. La fin du voyage signe peut-être l’extinction des souvenirs pour la mère, mais le fils devient le réceptacle d’une nouvelle histoire à transmettre.
Bande-annonce
5 novembre 2025 – De Sixue Qiao






