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SIDSE BABETT KNUDSEN | Interview

Membre du jury de la 13ème édition des Arcs Film Festival, Sidse Babett Knudsen, révélée en France grâce à la formidable série Borgen, dont on devrait bientôt voir la quatrième saison, connaît maintenant une renommée internationale, tant en France (L’Hermine, La Fille de Brest), qu’aux États Unis (la série Westworld). Nous avons eu le privilège de la rencontrer pour évoquer le Festival mais aussi son regard sur le cinéma et sa formation d’actrice.

Quelles sont pour vous les qualités essentielles d’un film, celles qui vous touchent le plus ?

Sidse Babett Knudsen : J’aime beaucoup être surprise. Ce qui a d’ailleurs été le cas avec certains films ici. Je crois que ce qui peut faire la différence pour un film, c’est qu’on peut parfois ne pas accrocher aux 15 premières minutes, puis il y a quelque chose qui se passe. Alors, on entre dans le film et j’aime bien être prise par un film qui n’est pas vraiment mon choix au départ. J’aime qu’un film me fasse changer d’avis. Ou un film d’un genre que je n’aime pas forcément au départ et qui finalement me plaît. Et, pour moi, la sincérité, l’honnêteté, c’est important.  Si je vois que le réalisateur essaie de faire quelque chose d’un peu superficiel, je ne serai pas dedans. Il faut que je sois habitée par l’histoire.

En tant que membre du Jury du festival des Arcs, qu’est-ce qui pourrait vous pousser à récompenser un film ? 

C’est très rare qu’il y ait des bijoux comme ça. Peut-être que l’élément de surprise est encore plus présent, je crois. Que ça ne reste pas une bonne idée, mais que ça aille au bout. Jusqu’à la dernière minute, on voit qu’il y a quelqu’un qui essaie de nous engager, de nous raconter quelque chose. Et ça peut être des choses très différentes, une cause politique, quelque chose d’humain. J’ai vu des films ici qui m’ont impressionnée. Et ça, ça vaut des prix je trouve.

Parmi les films en compétition, on peut dégager une thématique assez présente : le fait de vouloir s’échapper d’une situation, que ce soit de son travail ou d’une dette ou d’une relation toxique.  S’extraire d’une situation qui est très douloureuse ou très compliquée. Pensez-vous que cette thématique est le révélateur du monde actuel où tout le monde finalement se sent un peu mal ?

Je n’ai pas pensé à ça  J’ai vu le dernier film hier soir et ça n’a pas complètement fait son chemin chez moi, c’est encore dans l’air. Les impressions sont encore confuses, c’est beaucoup de voir dix films en peu de jours. C’est très intense. Surtout que les films n’étaient pas légers. Il n’y avait pas beaucoup d’humour. C’étaient des films durs. Je pense que ça a toujours été comme ça dans les festivals, avec des films durs. Mais peut-être davantage maintenant, avec le monde extérieur. Je n’y avais pas forcément pensé sous cet angle.

Vous avez vécu en Afrique lors de votre enfance et en France plus tard, est-ce que ça a influé sur vos goûts en matière de cinéma ? Vous avez des goûts plutôt éclectiques ? 

Je ne sais pas si ça vient de là, mais j’ai des goûts très éclectiques, j’aime tous les genres. C’est pour ça que je suis contente ici. Les films sont durs, très sérieux, mais il s’agit de films très différents.

Cette idée que, dans les films sérieux, on peut avoir un peu d’humour et vice versa est profondément ancrée dans notre tradition.

En France, on vous a vraiment découverte avec une excellente série danoise, Borgen. Pour certains, les séries scandinaves sont supérieures aux séries américaines ou françaises.  Est-ce parce que seules les meilleurs sont exportées ou y-a-t-il une plus grande exigence chez celles-ci ? 

Moi, je ne peux pas le voir de l’extérieur. Au Danemark, Dix pour cent est une série très populaire depuis que c’est sur Netflix. Je connais des gens qui aiment beaucoup les séries françaises, justement parce que c’est différent des séries américaines. L’exotisme joue beaucoup. C’est quoi une série ? C’est un très long film. Donc, c’est très écrit, plus qu’un film de cinéma. Je crois que c’est plus difficile d’entendre des mots dans sa propre langue. On vient de faire une quatrième saison de Borgen qui va sortir l’année prochaine. C’est quelque chose avec beaucoup de moyens, de prioritaire. Mais il y a beaucoup de séries au Danemark qui ne sont pas à la hauteur. Sans vouloir être méchante… (rires)

Depuis quelques années en France, beaucoup de films scandinaves, comme ceux de Joachim Trier, Thomas Vinterberg ou Susanne Bier, par exemple, sont très appréciés et du public et de la critique. Y-a-t-il actuellement un nouvel âge d’or du cinéma scandinave (après l’ère du Dogme 95), comme il y a eu par le passé un âge d’or du cinéma italien ou du cinéma hollywoodien ?

Il se passait quelque chose en 1995 avec le Dogme. Il se passait vraiment quelque chose. Notre cinéma a complètement changé avec le Dogme. Et ce n’était pas seulement le Dogme. J’étais dans un film qui s‘appelait Let’s get lost, c’était mon premier film au Danemark, en improvisation et tourné en noir et blanc en deux semaines. Il y avait quelque chose dans l’air de beaucoup plus expérimental à cette époque. Mais justement parce que c’était expérimental, ça parlait vraiment de l’humanité. Ce n’était pas de l’expérimental « bizarre », genre « on ne va rien comprendre ». On essayait de faire des films qui touchent, qui émeuvent, qui engagent. Et c’était très collectif le process. En tant que comédienne, j’étais vraiment storyteller, comme le réalisateur. Et ça je crois que c’est resté un peu dans notre cinéma.

« L’Hermine » de Christian Vincent avec Fabrice Luchini, Sidse Babett Knudsen

Donc, ce qu’on voit actuellement serait pour vous un peu l’héritage du Dogme 95 ?

Je trouve, oui. Thomas Vinterberg était déjà dans le Dogme et Susanne Bier aussi. Ces réalisateurs sont aussi partis aux Etats-Unis. Mais il y a un ton danois. Cette idée que dans les films sérieux, on peut avoir un peu d’humour et vice versa. C’est profondément ancré dans notre tradition.

La complexité des choses ?

Oui. C’est dans notre mentalité. Si quelqu’un parle sérieusement, il faut que quelqu’un fasse une blague. C’est pour l’équilibre. On a aussi envie de provoquer. On cherche l’équilibre.

J’ai été très inspirée par des actrices des années cinquante comme Ava Gardner, Elizabeth Taylor, quelque chose de très classique et de très dramatique. Mais maintenant ce sont de jeunes acteurs qui m’inspirent.

En France, la pandémie a laissé des traces douloureuses et peut-être durables sur la fréquentation des salles de cinéma et sur le monde de la culture en général . Est-ce la même chose pour le Danemark et quel regard potez-vous sur cette situation ? Vous êtes pessimiste ? 

J’aimerais beaucoup être optimiste. Mais c’est difficile. J’ai peur qu’on ne perde des choses qui seront très difficiles à recréer. C’est très difficile. Je pense que le cinéma va survivre. Mais il va prendre des coups.

Y-a-t-il des artistes qui ont été des modèles pour vous ? Sr le plan théâtral ou cinématographique ?

Oui, beaucoup. Et chaque fois qu’on me le demande, il faut que je l’écrive, car souvent je ne me rappelle de personne. J’ai été très inspirée par des actrices des années cinquante comme Ava Gardner, Elizabeth Taylor, quelque chose de très classique et de très dramatique. Mais maintenant ce sont de jeunes acteurs qui m’inspirent.

Vous avez suivi entre autres formations théâtrales, un enseignement fond sur celui de Jacques Lecoq ? Vus avez fait du mime ?

C’était le système Lecoq : le clown, la commedia del arte, etc.

Cela vous a beaucoup nourrie ?  

Cela m’a beaucoup apporté. C’est radical. C’est beaucoup plus naturel pour moi de jouer comme dans Borgen, où ça vient me vient facilement, naturellement. Mais cette formation, que je n’aurais pas choisie forcément au départ, m’a beaucoup aidée sur le plan physique. Je fais pas mal de choses pour enfants au Danemark. Du type music hall. C’est un peu extrême et j’adore ça.


Propos recueillis par Eric Fontaine pour Le Bleu du Miroir


Remerciements : Claire Vorger // Copyright photo officielle du festival : Alexandra Fleurantin



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