MARCO, L’ÉNIGME D’UNE VIE
Enric Marco est le président de l’association des victimes espagnoles de l’Holocauste. À l’approche d’une commémoration, un historien conteste son passé d’ancien déporté. Marco se bat alors pour maintenir sa version alors que les preuves contre lui s’accumulent…
Critique du film
Pierre Nora disait très justement : « La mémoire, c’est la vie, toujours portée par des groupes vivants, elle est en évolution permanente, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations ». Une citation qui semble sied à merveille à l’histoire contée dans le long-métrage d’Aitor Arregi et Jon Garano, une retranscription d’un mensonge honteux, celui d’Enrico Marco, homme s’étant fait passer pour un déporté juif d’origine espagnole pendant plus de trente années de sa vie.
Les deux réalisateurs assument avoir abandonné l’approche documentaire, qui aurait davantage collé à un travail historique, pour finalement se concentrer sur la fiction et ainsi inventer leur « troisième Marco » (s’insérant à la suite de celui ne vivant qu’au sein du mensonge et de son créateur). Partant d’un tel constat, il ne faut pas chercher une vérité impartiale dans l’œuvre des deux cinéastes, dont le but était avant tout d’interroger cette idée de mémoire ainsi que sa fragilité sans forcément s’encombrer d’une rigueur académique.
Pourtant, en un sens, Marco, l’énigme d’une vie réalise un travail parfois digne d’un historien en faisant tout pour ne pas juger son protagoniste. L’odieux mensonge inventé, exagéré et soutenu corps et âme, aurait pourtant de quoi susciter du ressentiment chez le spectateur à l’instar de la situation réelle, mais c’est avec une certaine habileté narrative que l’écueil est évité. Marco a menti, il a trouvé des excuses à ce mensonge, a tenté de le minimiser tout en tenant tête au monde sans se rendre compte de la gravité de la situation. Certes, ce n’est pas ce que le film cherche à dénoncer, le mensonge en tant que tel, mais l’utilisation de l’histoire, de cette mémoire si sacrée pour ceux n’en gardant qu’un souvenir de souffrance.
Il serait donc facile de croire que Marco, l’énigme d’une vie condamne le mensonge, ce serait toutefois une affirmation étonnamment réductrice envers un long-métrage qui s’acharne à représenter son protagoniste comme une figure ambivalente : un personnage, il faut le souligner, porté par un acteur aussi convaincant que son homologue réel. Récompensé du Goya du meilleur acteur à l’occasion de sa performance, Eduard Fernández livre une prestation titanesque, jouant sur toutes les fêlures du menteur qu’il incarne. L’homme fait preuve d’un aplomb féroce, faisant parfois douter le spectateur connaisseur des faits, pour ensuite tomber dans les limbes d’une vulnérabilité presque misérable.
Voilà le cœur du film : montrer celui qui manipule l’histoire sans vraiment se rendre compte du mal qu’il fait. Enrico Marco clame avoir fait tout ceci dans un but altruiste, en voulant donner une voix aux déportés espagnols, malmenés par leurs bourreaux et oubliés une fois de retour dans un pays encore sous régime dictatorial. Toute cette complexité est brillamment transmise à travers l’écran. Ce n’est pas sciemment que la mémoire se voit travestie, c’est dans un but bien plus flou qui ne saurait être totalement explicable. Subsiste alors une seule conclusion : l’importance d’un esprit critique bien placé, surtout à l’heure des fake news, des intelligences artificielles omniprésentes, des réseaux sociaux emplis d’algorithmes mettant en avant des posts qui arrangent la politique nauséabonde de leur dirigeant. L’histoire d’Enrico Marco ne nous semble pas moins répréhensible, mais de moins en moins improbable.
Marco, l’énigme d’une vie est un film « historiquement » important, non pas pour sa représentation de la réalité, mais pour sa capacité à montrer un processus de transformation. La métamorphose d’une douleur qui devrait être commémorée en un moment déchirant, la faute à celui n’ayant pas conscience du mal qu’il cause aux acteurs de l’histoire ainsi qu’à ceux dont la mémoire sera le seul témoignage.
Bande-annonce
14 mai 2025 – D’Aitor Arregi, Jon Garaño