LA FORTERESSE NOIRE
1941, au cœur des Carpates roumaines. Une unité de soldats nazis prend possession d’une mystérieuse forteresse isolée, malgré les avertissements du gardien local. Bientôt, des morts inexplicables frappent les occupants, révélant la présence d’une entité maléfique scellée dans les murs du sombre édifice. Alors qu’un furieux officier allemand cherche à percer l’énigme de ce lieu maudit, un érudit juif et sa fille, arrachés aux camps, se retrouvent contraints de devoir collaborer avec leurs tortionnaires pour élucider ce mystère…
Critique du film
Tourné en 1983 et deuxième film du réalisateur Michael Mann, deux ans après Le Solitaire, superbe film noir avec James Caan, La Forteresse noire adapte un roman de Francis Paul Wilson publié en 1981. Cette histoire d’entité maléfique « réveillée » par l’arrivée et l’intrusion au sein de la forteresse, située dans les Carpates roumaines, de troupes nazies, pourrait étonner de la part d’un réalisateur qui s’est plutôt spécialisé dans le film policier. Mais ce serait oublier l’intérêt que porte Michael Mann aux forces obscures, latentes, et on trouve dans La Forteresse noire des thèmes, des personnages qui se confrontent à celles-ci avec le risque de perdre la raison ou de se retrouver face à leurs propres démons. Déjà, on trouve ici une recherche plastique et un travail sonore qui préfigurent les plus grandes réussites de la filmographie de ce metteur-en-scène.
Portant les stigmates d’un remontage imposé par les producteurs – environ deux heures de film supprimées – La Forteresse noire traîne la réputation d’un film maudit, voire inabouti ou raté. Il n’en est rien. Très rarement projeté, peu vu à sa sortie, l’échec commercial du film n’entache en rien ses qualités, sa profonde singularité et son pouvoir de fascination, que de multiples visions ne peuvent épuiser. Croisement de fantastique gothique, très inspiré par Lovecraft et de films aux intentions métaphysiques, ce long-métrage mutilé reste d’une grande richesse thématique qui compte parmi les grandes réussites du film fantastique des années 1980.
Porté par un casting impeccable, le film s’avère fascinant et offre une galerie de personnages aux motivations diverses : Scott Glenn incarne un mystérieux lié à la forteresse, Gabriel Byrne un SS cherchant à percer les secrets de la forteresse, se faisant aider par un érudit juif arraché des camps pour la circonstance que campe Ian McKellen, tout en ambiguïté. De son côté, Jürgen Prochnow est un officier allemand qui cherche à protéger la nièce de ce savant, femme jouée par Alberta Watson. Mais il est impossible d’évoquer ce film hybride, étrange et imparfait mais unique, sans évoquer l’extraordinaire travail de John Box, pour les décors, d’Enki Bilal qui conçut la créature de la forteresse, sorte de golem qu’on voit évoluer au fur et à mesure du film, ou de la photographie d’Alex Thomson. Cette réussite visuelle donne toute son ampleur à un film qu’il est urgent de voir ou de redécouvrir.
Réflexion sur le mal, la façon de le combattre et la tentation de ressembler aux démons contre lesquels on lutte, La Forteresse noire constitue aussi un formidable divertissement et un film charnière dans le domaine du fantastique. La superbe bande-originale du groupe allemand Tangerine Dream – qui avait déjà livré, entre autres, une très belle composition pour Le Convoi de la peur, et qui avait déjà travaillé avec Michael Mann pour Le Solitaire – contribue à l’atmosphère étrange et inquiétante de cette œuvre profondément originale et envoûtante.