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UNE AUSSI LONGUE ABSENCE

Depuis la disparition de son mari, déporté par les Allemands en 1944, Thérèse Langlois tient seule son café à Puteaux. un clochard passe régulièrement devant le café et Thérèse, après quelques hésitations reconnaît formellement son mari, déclaré mort depuis quinze ans…

Cycle Palmes d’Or

En 1961, Giono et son jury récompensaient deux films de la Palme d’Or. L’un d’eux était Viridiana de Luis Buñuel, resté dans les annales, l’autre Une aussi longue absence d’Henri Colpi, quasiment tombé dans l’oubli aujourd’hui. Pourtant, outre la Palme d’Or, le film avait également été auréolé du Prix Louis Delluc et avait connu un petit succès en salles à sa sortie. Comment expliquer alors qu’il soit si méconnu aujourd’hui ?

Difficile à dire, peut-être parce qu’alors que la Nouvelle Vague débarquait en France, Henri Colpi, dont c’était le premier film, allait à contre-courant des nouveaux auteurs avec un style s’inscrivant plus dans celui du cinéma d’après-guerre français. Même si en réalité Colpi ne semble pas vraiment se préoccuper de coller à un style ou à un autre mais plutôt de donner à Une aussi longue absence un ton qui lui est propre, celui qui sera le plus propice à raconter son histoire. Il faut savoir qu’Henri Colpi vient du montage et qu’il a alors travaillé aussi bien pour Clouzot que pour Varda ou Resnais, en particulier sur Hiroshima, mon amour. C’est d’ailleurs Marguerite Duras, autrice du film de Resnais, qui vient chercher Colpi pour mettre en image son nouveau scenario, co-écrit avec Gérard Jarlot.

Une aussi longue absence

L’histoire est celle de Thérèse Langlois, patronne d’un bistrot à Puteaux en banlieue parisienne à la fin des années 1950. Son mari a été déporté pendant la Seconde Guerre Mondiale et est porté disparu depuis. Elle passe donc ses journées à servir les habitants du village et les ouvriers de l’usine locale, ne s’offrant que de rares jours de vacances. Alors que le mois d’août arrive et que la ville se vide, Thérèse s’apprête elle aussi à fermer son café pour une quinzaine de jours pour aller s’aérer en province. Mais c’est sans compter sur un SDF qui passe tous les jours devant son bistrot et qui va semer le trouble chez la femme.

Si Colpi capte un peu l’ambiance de cette ville de banlieue, offrant notamment quelques séquences en extérieur, plus dans l’esprit de la Nouvelle Vague, ce n’est clairement pas ce qui l’intéresse ici. Rapidement, au fur et à mesure que la ville se vide de ses habitants, le film prend une allure plus poétique et intimiste, et se recentre sur ses deux personnages principaux. D’abord Thérèse (interprétée avec beaucoup de délicatesse par Alida Valli) qui, 15 ans après la disparition de son mari, vit toujours dans le souvenir de celui-ci, continuant à tenir seule le bistrot qu’ils avaient ouvert ensemble et ne semblant vivre que pour ça. Elle a bien un amant mais plus par obligation que de réels sentiments. Ensuite le SDF, interprété par un très grand Georges Wilson extrêmement touchant en homme amnésique n’ayant pour seuls souvenirs que des airs d’opéra. 

Henri Colpi dessine avec Une aussi longue absence une sorte de bulle hors du temps et du monde pour ces deux personnages qui vivent eux-mêmes dans leurs propres réalités. Le film a ainsi une identité unique, assumant un rythme lent mais admirablement mené (Colpi est monteur, rappelons-le). Le réalisateur met parfaitement en scène les textes de Duras mais démontre encore plus son talent dans les moments de silence. Il y capte avec beaucoup de tendresse la vérité de ces personnages perdus, dont on espère que la rencontre va leur permettre de se retrouver et se réécrire. Il y a une mélancolie déchirante dans l’histoire que nous content Colpi et Duras.

une aussi longue absence

Dans une France des années 50 et 60 encore très marquée par la Seconde Guerre Mondiale, on a rarement vu des films traiter aussi justement des traumatismes psychologiques de celle-ci. Que ce soit chez des personnes qui y ont perdu un être cher sans parfois pouvoir en faire le deuil, à l’image de Thérèse, ou chez celles qui ont subi directement ses sévices, comme le SDF dont on suppose que l’amnésie est en lien avec un traumatisme de guerre. Ce qu’il y a de fort dans Une aussi longue absence c’est qu’à aucun moment le film ne succombe à l’envie de rendre le récit plus cinématographique et de sortir les grands violons. Le climax se résume ainsi à une danse sur Trois petites notes de musique, dans un respect total de la pudeur des personnages.

Fort de deux prix majeurs alors même qu’il n’est qu’un premier long métrage, Une aussi longue absence mériterait amplement d’être aujourd’hui réhabilité, d’autant qu’il a été magnifiquement restauré en 2014. Une programmation dans la sélection Cannes Classics semblerait la bienvenue lors d’une prochaine édition…


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Rétrospective spéciale Palmes d’Or