HIROSHIMA MON AMOUR
Une actrice française se rend à Hiroshima pour tourner un film sur la paix. Elle y rencontre un Japonais qui devient son amant, mais aussi son confident, à qui elle raconte ses souvenirs d’un amour impossible avec un soldat allemand pendant la Seconde Guerre mondiale.
CRITIQUE DU FILM
Deuxième long métrage de fiction d’Alain Resnais, écrit par Marguerite Duras, Hiroshima mon amour (1959) est encore marqué par la période de documentariste du cinéaste qu’il ne clôt pas tout à fait. Film étrange, poétique, troublant, il n’est pas facile d’accès et restera hermétique à plus d’un spectateur.
Avec la rencontre d’un Japonais (Lui) encore traumatisé par la conclusion tragique de la Seconde Guerre mondiale, et d’une Française (Elle) qui, à la suite d’une relation avec un soldat allemand, a été tondue à la fin de la guerre. Deux traumatismes qui tentent de se rejoindre et de se reconnaître. Le film s’ouvre sur une séquence magnifique : un couple s’enlace, tels deux amants de Pompéi à la peau poudreuse et scintillante. L’amour est plus fort que la mort, affirme d’emblée Resnais. Puis, nous sommes transportés à Hiroshima où nous visitons un musée dédié à la bombe atomique. Resnais utilise des images d’archives, tirées (sans que cela soit crédité au générique) d’un admirable film japonais intitulé Hiroshima (1953) qui reconstituait avec un réalisme impressionnant le 6 août 1945 et les jours qui suivirent. Un film dans lequel joue d’ailleurs Eiji Okada, qui interprète Lui dans le film de Resnais*. Une filiation qui prend tout son sens ici, comme si l’acteur apportait avec lui la mémoire de son rôle précédent.
La mémoire est d’ailleurs au centre du film et de toute l’œuvre de Resnais. Dans L’Année dernière à Marienbad (1961), un homme tente de raviver dans l’esprit d’une femme le souvenir de leur rencontre passée. Dans Je t’aime, je t’aime (1968), un employé de bureau expérimente une machine à explorer le temps et se retrouve perdu dans ses souvenirs. Dans Muriel ou le temps d’un retour (1963), une femme se demande comment construire sa vie à partir de souvenirs qui viennent encombrer le présent. Dans Hiroshima mon amour, il est question de savoir ce qui va laisser une trace dans la mémoire.
« Bien regarder, je crois que ça s’apprend »
Dans la première partie du film, nous entendons le dialogue en voix off d’un homme et d’une femme avant de les voir en chair et en os. Elle est une actrice française, lui architecte, ils sont tombés amoureux alors qu’ils sont l’un et l’autre mariés. Ils font l’amour. Elle doit rentrer en France le lendemain, il l’implore de rester plus longtemps. Puis, pour répondre à ses questions, elle se livre, il sait l’écouter. Ils restent ensemble toute la nuit. Elle lui parle de sa ville natale de Nevers, dans la Nièvre, de son histoire d’amour avec un soldat allemand et de l’humiliation qu’elle a subie à la Libération. « Bien regarder, je crois que ça s’apprend », lui dit Elle. « Tu n’as rien vu à Hiroshima », dit Lui, phrase restée célèbre, une façon de dire peut-être qu’il n’y a rien à voir à Hiroshima ou que l’Histoire n’a pas de sens.
Emmanuelle Riva, dans le rôle d’Elle, est magnifique. Elle est la première d’une longue série d’inoubliables héroïnes de Resnais, souvent tourmentées, en conflit avec elles-mêmes : Delphine Seyrig dans L’Année dernière à Marienbad et Muriel, puis plus tard Sabine Azéma dans L’amour à mort (1984) ou Mélo (1986). Quant à Eiji Okada, le fait qu’il ne parlait pas français sur le tournage et qu’il ait mémorisé son texte phonétiquement donne à son jeu un côté guindé et déclamatoire, qui joue paradoxalement en faveur du film et éloigne cette histoire d’amour des clichés du genre.
Par son refus des conventions, par sa liberté narrative, par son utilisation d’une musique obsédante, lancinante (signée par deux compositeurs : Giovanni Fusco et Georges Delerue), Hiroshima mon amour a su imposer une forme de modernité cinématographique, au même titre et à la même époque que Les Quatre cents coups (1959) et L’Avventura (1960). Présenté hors compétition au Festival de Cannes en 1959, le film a bien entendu dérouté les spectateurs. Certains ont crié au génie, d’autres à l’imposture, ce qui ne l’a pas empêché de réaliser 2,2 millions d’entrées en salles en France.
Mêlant admirablement ses trois thèmes : la mémoire, l’amour plus fort que la mort, et, comme dans son admirable Nuit et brouillard, la Seconde Guerre mondiale, Hiroshima mon amour s’avère au final une œuvre fascinante et complexe qui gagne en profondeur à chaque vision. Et dont l’influence a été grande sur de nombreux cinéastes et aspirants cinéastes. C’est aussi la première collaboration de Resnais avec de grands écrivains, et la première incursion de Marguerite Duras dans le cinéma, dans lequel elle s’illustrera elle-même comme réalisatrice. Le cinéaste poursuivra sa carrière avec d’autres écrivains illustres, dont Alain Robbe-Grillet pour son film suivant, le génial L’Année dernière à Marienbad, mais c’est une autre histoire.