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VIDEODROME

À Toronto, Max Renn dirige une chaîne de télévision spécialisée dans la pornographie et la violence. Une nuit, un de ses employés, Harlan, parvient à capter une émission pirate, Videodrome, qui diffuse des scènes reconstituées de tortures. Son visionnage provoque chez Max des hallucinations et autres altérations physiques. C’est le début d’une descente aux enfers alors que la frontière entre réalité et univers télévisuel se brouille.

PRESCIENCE

C’est facile. Il suffit de regarder autour de soi. Dans les transports en commun. Au cinéma. Dans les salles d’attente. Dans le train. Chez des amis. Aux toilettes. Au travail. Dans la rue. Dans son lit. Au volant de sa voiture… La mainmise des écrans sur nos vies est désormais presque totale. Et surtout, ce (triste ?) constat ne semble gêner personne, notre dépendance aux écrans coule de source alors que les méfaits des images, notamment sur les jeunes, sont avérés. 

Videodrome, sorti en 1983, annonçait le monde dans lequel nous vivons avec une prescience incroyable. De tous les films de David Cronenberg, c’est sûrement un des plus dérangeants et originaux. S’il n’a pas trouvé son public lors de sa sortie initiale, le temps a joué en sa faveur, et le succès de la location de la cassette vidéo du film (comment rêver de meilleure adéquation fond/forme ?) lui a apporté un statut de film culte.

En effet, les cassettes vidéos, en l’occurrence le Betamax, format concurrent terrassé par la VHS dans les années 1980, sont au centre de l’intrigue qui voit un dirigeant de chaîne TV canadien (James Woods) tombant par hasard sur une émission pirate ressemblant à un snuff movie. Celle-ci provoque chez lui des hallucinations, et au fil de ses rencontres (notamment avec Debbie Harry, la chanteuse du groupe Blondie dans un de ses nombreux rôles au cinéma et à la télévision), il se rend compte que Videodrome est un programme destiné à contrôler l’esprit de ceux qui le regardent tout en créant une tumeur dans leur cerveau. Le Dr. Brian O’Blivion et son associé Barry Convex, les deux créateurs du programme, ont un désaccord quant à sa finalité et le pauvre Max se trouve embarqué, par sa soif d’images violentes, dans ce conflit dont il est le premier et unique cobaye.

Au centre de ce film passionnant se trouve une question : qu’est-ce que la réalité ? Le professeur O’Blivion dit : « Rien n’est réel sinon notre propre perception de la réalité. » Pour Cronenberg, l’image est un moyen de contrôle de l’esprit, la télévision a plus d’importance que ce qu’elle montre. Comme l’annonçait le théoricien des communications Marshall McLuhan, le média a pris le dessus sur le contenu.

Par ses images hallucinantes de Max fusionnant avec un écran, ou du vagin béant s’ouvrant dans son ventre et dans lequel pénètre une cassette vidéo − le transformant en magnétoscope humain − Videodrome montre à quel point notre « nouvelle chair » est une chair numérique. Nos smartphones sont des extensions de notre enveloppe corporelle. « C’est vers le corps qu’il faut aller pour connaître la vérité. D’une certaine façon, je suppose que c’est cela que je fais dans mes films, tout le temps », dit Cronenberg à Serge Grünberg dans son livre d’entretien paru en 2000. Au-delà du sous-genre appelé body horror, auquel il a donné naissance sur grand écran, l’œuvre de Cronenberg cherche surtout à créer une série de métaphores visuelles en utilisant les outils du cinéma, pour faire advenir le sens qu’il veut atteindre et les idées qu’il souhaite explorer. Voir par exemple cette scène frappante d’une soupe populaire où les indigents sont recueillis pour manger mais aussi pour avoir leur dose d’images télévisées.

Alors que les spectateurs de 1983 s’extasiaient devant Le Retour du Jedi ou Les Dieux sont tombés sur la tête, Cronenberg livrait lui avec Videodrome des visions d’horreur d’une si grande pertinence qu’elles annonçaient, malgré ce qu’il peut en penser lui-même, tout simplement notre monde actuel (« Si Videodrome était prophétique, c’était par accident, d’une façon inconsciente », déclare sur France Culture le réalisateur pendant la campagne de promo de son nouveau film Les Crimes du futur). Ayant fait ses débuts dans le cinéma expérimental, dans lequel il explorait déjà ses thèmes de prédilection (la sexualité, le corps humain comme terrain d’expérimentation, le danger de la contamination, la médecine et la psychanalyse), Cronenberg a connu son premier succès commercial avec Scanners deux ans auparavant, lequel parlait déjà de contrôle de l’esprit à distance. Videodrome pousse le concept plus loin. Là où les « scanners » de son film précédent pouvaient tuer à distance, le programme Videodrome vise à prendre possession du cerveau du spectateur avide d’images violentes, de le manipuler, et à terme le tuer. Pour mettre fin à ce programme, Max devra faire le sacrifice ultime.

Cronenberg n’est pas connu pour être un cinéaste drôle et léger. Il laisse ça à d’autres. Mais son cinéma sait comme nul autre capter les angoisses de notre époque. L’arrivée prochaine du métavers, comme annoncée par Facebook, sera la phase ultime de notre entière soumission aux images et au monde virtuel. Un monde pour le contrôle duquel une âpre lutte se livre déjà, en coulisses. Des Convex ou O’Blivion d’aujourd’hui, qui remportera la mise ?


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