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LA CHAMBRE D’À CÔTÉ

Ingrid et Martha, amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Lorsqu’Ingrid devient romancière à succès et Martha, reporter de guerre, leurs chemins se séparent. Mais des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…

Critique du film

Pedro Almodóvar caressait depuis plusieurs décennies l’idée de tourner un film en langue anglaise. Au fil des années, le maître espagnol se sera même vu proposer par Hollywood la réalisation de plusieurs projets clé en main, du secret de Brokeback Mountain à The Paperboy. Mais l’angoisse de la barrière linguistique aura toujours eu raison du cinéaste, pour finalement sauter discrètement le pas début 2020, avec la réalisation successive de deux courts-métrages anglophones. La chambre d’à côté sonne donc comme une forme d’aboutissement, voire de consécration pour son réalisateur, soulignée par l’obtention du prestigieux Lion d’Or au dernier festival de Venise. De quoi susciter énormément d’attente et de curiosité…

La première séquence (pour ne pas dire le générique d’ouverture) laisse peu de doute quant à la nature de cette échappée outre-Atlantique. La chambre d’à côté n’opère en aucun cas une rupture dans la filmographie du maître espagnol. Il s’agit plutôt d’une variation thématique et stylistique autour de l’œuvre et des obsessions almodóvariennes. Plus précisément, le film s’inscrit dans la continuité des derniers travaux du cinéaste. Une période entamée en 2016 avec Julieta, à la tonalité volontairement mélancolique et introspective. Cette dynamique de l’intime est on ne peut plus présente dans ce nouvel opus adapté du roman Quel est donc ton tourment ? de Sigrid Nunez.

Almodóvar y esquisse deux portraits féminins sur lesquels plane le spectre de la mort. C’est d’ailleurs la perspective d’une mort prochaine qui amorce le récit. Lors d’une séance de dédicaces, l’autrice Ingrid (Julianne Moore) apprend par hasard que son amie Martha (Tilda Swinton), perdue de vue depuis de nombreuses années, est atteinte d’un grave cancer. Elle décide spontanément de lui rendre visite à l’hôpital et les deux femmes ne tardent pas à renouer une relation amicale forte. Jusqu’ à ce que Martha, se sachant condamnée, annonce à Ingrid son intention de mettre prochainement fin à ses jours afin d’éviter une déchéance physique et psychologique…

Au sein d’un dispositif resserré (nombre réduits de décors et de personnages), Almodóvar aborde frontalement ses questionnements autour de la / sa fin de vie. Son écriture se veut directe, presque schématique puisqu’elle confronte littéralement la peur de la mort incarnée par Ingrid, à une forme d’apaisement face à la mortalité inéluctable que représente Martha. L’enjeu principal du scénario est alors double : un cheminement d’apprentissage et d’acceptation de la finitude pour celle qui va continuer à vivre, et la recherche paradoxale d’une ultime pulsion de vie pour celle déjà en route vers sa funeste destinée.

Le réalisateur ne cherche jamais à masquer l’aspect (très) théorique de son sujet. À ce titre, les séquences de dialogue entre les héroïnes sont d’une remarquable fluidité. Pour qui accepte la théâtralité d’une telle approche (certains diront trop verbeuse), le film reste souvent passionnant dans son exploration de la fragilité de l’existence, des angoisses individuelles que l’on projette sur ceux qui nous entourent ou tout simplement lorsqu’il se penche sur les problématiques liées au droit à mourir dans la dignité.

room next door

Entre premier degré à la lisière du kitsch et abstraction onirique, la mise en scène d’Almodóvar entretient le trouble. Qu’il s’agisse du retour (presque) fantomatique d’un personnage vers la fin du film ou de la dimension quasi fantastique du décor (la villa représentée comme un espace de transition entre la vie et la mort), le film joue avec le spectateur de manière ludique et distanciée, comme pour mieux rendre digeste un sujet par nature grave. La flamboyance des costumes propre au cinéma d’Almodóvar, renforcée par le jeu éthéré de Tilda Swinton, finit d’apporter une énergie lumineuse à un récit qui tient pourtant sa note sépulcrale de bout en bout.

Quelques faiblesses empêchent le film de prendre totalement son envol, à commencer par un scénario empesé dans sa première partie ; la faute à une utilisation des flashbacks quasi hors-sujet. Par ailleurs, passé le climax émotionnel, le réalisateur et scénariste semble fuir toutes les implications politiques pourtant inhérentes à son sujet, dès lors que celles-ci deviendraient trop marquées. La réalité législative a beau rattraper Ingrid après l’ultime geste de Martha, Almodóvar décide ne pas s’étendre sur le problème (pourtant clairement énoncé par le personnage incarné par Alessandro Nivola) et préfère bricoler une résolution en deux répliques et une intervention quasi divine, histoire de faire illusion.

Il n’empêche que, sous ses attraits de mélodrame hollywoodien faussement feutré, La chambre d’à côté parvient à rendre compte, avec une infinie douceur, de questionnements et contradictions intimes éminemment contemporaines. Bien aidé par deux comédiennes au sommet de leur art, la mort aura rarement paru aussi lumineuse et incarnée sur grand écran.

Bande-annonce

8 janvier 2025 – De Pedro Almodóvar

Avec Julianne MooreTilda SwintonJohn Turturro


Mostra de Venise 2024 – Lion d’Or