featured_rien-à-perdre

RIEN À PERDRE

Sylvie vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Ensemble, ils forment une famille soudée. Une nuit , Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement et sa mère au travail. Un signalement est fait et Sofiane est placé en foyer. Armée d’une avocate, de ses frères et de l’amour de ses enfants, Sylvie est confiante, persuadée d’être plus forte que la machine administrative et judiciaire…

Critique du film

Venue du documentaire, la réalisatrice Delphine Deloget s’était fait la main avec deux courts-métrages de fiction (Le Père noël et le cowboy en 2012, puis Tigre en 2019). Comme une suite logique à son travail, elle signe avec Rien à perdre son premier long-métrage de fiction conservant les mêmes enjeux que sont le point de vue, la mise en scène et la forme afin de rendre son récit universel.

Que reste-t-il d’une famille lorsqu’elle a explosé, par une intervention extérieure et sans retour en arrière possible ? C’est à partir de cette question qu’elle raconte comment cette famille mono-parentale devra apprendre, par la force des choses, à vivre les uns sans les autres. Barmaid de nuit, Sylvie est régulièrement contrainte de laisser ses deux fils à la maison. Lorsque le plus jeune, resté seul un soir, s’ébouillante dans la cuisine, un signalement pour négligence est lancé auprès de l’Aide Sociale à l’Enfance. Quelques jours suffisent pour que la procédure d’enquête sociale se mette en place et que, dans la foulée, un juge ordonne le placement en foyer de son cadet, Sofiane, par principe de précaution.

Par crainte de passer à côté d’un enfant battu ou d’une carence éducative, le garçon est ainsi séparé de sa mère et son frère aîné qui vont, dès lors, tout faire pour lui permettre de réintégrer le foyer, à commencer par la préparation de l’audience en recueillant des témoignages (entourage, école). Malheureusement, les services de l’ASE n’ont pas la même perception des faits et prennent une mesure préventive de six mois, vécue comme une sanction injuste par Sylvie.

rien à perdre

À perdre la raison

En sous-effectif, l’ASE doit pourtant s’efforcer de prendre le parti de l’enfant et de déterminer ce qui est mieux pour lui. Mais celui-ci, dont on suspecte un trouble de l’attention et de l’hyperactivité, peine à canaliser ses émotions et se voit administrer un traitement médical : la Ritaline. D’abord prête à montrer patte blanche, Sylvie se retrouve finalement prisonnière de cette situation sans issue et commence à perdre pied. Incapable de renoncer, mais sombrant progressivement comme dans des sables mouvants, elle se bat (contre qui ?) mais ne réussit qu’à empirer les choses.

Avec Rien à perdre, la cinéaste souhaitait scruter la délicate mission des services de protection de l’enfance. Appliquant une décision judiciaire, souvent guidée par ce fameux principe de précaution, cette mesure vertueuse peut aussi avoir des effets secondaires contreproductifs. Naviguant en zone grise, elle questionne la légitimité de ces décisions. Qui est le/la plus apte à choisir la meilleure option pour l’enfant : la mère, l’institution, la justice ? En sondant cet angle mort sociétal, Delphine Deloget met en lumière ce malaise et illustre cet engrenage infernal.

Comme souvent bouleversante, Virginie Efira, très engagée en amont de ce projet où elle apportera son regard sur les différentes versions du scénario, incarne cette femme désespérée, qui fonce tête baissée à en perdre la raison. Elle met son talent au service de cette mère aimante mais défaillante qui passe par toutes les émotions : du déni à la colère, en passant par la honte et la culpabilité. Quelle issue lui reste-t-il si ce n’est la soumission à des mesures sur lesquelles elle n’a désormais plus possibilité d’agir ? Présentant le combat d’une mère face à une institution essentielle mais faillible, Rien à perdre façonne un cercle vicieux où le remède engendre de nouvelles pathologies, dans un drame solide mais ambigu, qui semble prendre parti dans son dernier segment, quitte à cautionner le choix immoral.

Bande-annonce

22 novembre 2023De Delphine Deloget, avec Virginie EfiraFélix LefebvreArieh Worthalter


Un Certain RegardCannes 2023



%d blogueurs aiment cette page :