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L’AMOUR ET LES FORÊTS

Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple.

Critique du film

Elle ne l’a pas reconnu car il a beaucoup minci. Sans doute, de son côté, ne l’aurait-il pas abordée avec autant d’assurance il y a quelques années. Blanche et Grégoire se séduisent lors d’une soirée comme on flirte pour un soir, avant que leurs rendez-vous répétés initient une histoire d’amour. Cela ressemble au début d’un conte : le prince charmant providentiel surgit au moment où la jeune femme était à la recherche de l’autre. Or, après avoir montré patte blanche, le loup est entré dans la bergerie.

Valérie Donzelli adapte pour la première fois un roman, L’Amour et les Forêts d’Eric Reinhardt (Gallimard, 2014), sans renier ce qui fait l’originalité de sa touche. Son style poétique et énergique, romanesque, parfois loufoque, s’exprime tantôt à travers un décalage musical (tout à coup, le couple se met à chanter pour se dire son amour), tantôt par un jeu naïf avec l’onomastique (les sœurs Rose et Blanche, le mari Gégoire Lamoureux), dans un paysage de cinéma situé entre Demy et Rohmer, revus sous un mode sombre et brûlant. Cette tonalité indécidable, une hybridité joyeuse, inégale, sied à l’esprit de la Blanche des premiers instants. Cette enseignante proche de sa famille demeure au départ dans un cadre intime, auprès de sa mère, sa sœur jumelle et dans sa maison d’enfance ; mais à mesure qu’elle perd ses attaches, la réalisatrice l’imite, se tournant vers des effets proches du thriller pour entrer dans le cœur du sujet : le harcèlement conjugal que fait subir à sa femme un pervers narcissique.

Le film décrit de façon irréprochable le processus d’isolement imposé à Blanche par Grégoire. Elle, toujours arrangeante, embarquée dans un cercle duquel elle ne peut pas sortir car on feint de l’en rendre responsable, et lui, aux traits effrayants de douceur, visage effarouché et confondu en plates excuses. Cet isolement est à la fois géographique, amical et même intérieur, puisqu’il la pousse à renoncer à ses propres envies, à s’oublier elle-même, c’est-à-dire à refouler. Un mensonge, des coups de téléphone incessants, des questions qui se transforment en interrogatoire, une jalousie maladive, tous ces mécanismes sont démontrés un à un de façon glaçante. Un mari aussi présent fait des envieuses : « Tu as de la chance qu’il t’appelle si souvent », dit à Blanche sa collègue (Romane Bohringer). Il désarme par l’évidence avec laquelle il retourne les situations, inverse la position de victime lors de scènes d’autant plus violentes qu’on se souvient que tout cela commençait comme un conte.

« J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler. » Cette réplique dite par Néron dans Britannicus est citée à deux reprises pour raconter la dangereuse poétisation d’une relation toxique, ce que Valérie Donzelli évite avec application. Pour cela, elle crée une distanciation qui désigne l’emprise en tant que sujet, pour ne pas la partager de façon autonome, sans commentaire. D’abord, il y a l’encadrement général de l’action par un dialogue entre Blanche et son avocate, qui assimile l’ensemble à un long flashback et évite de ménager un suspense obscène lors des moments les plus durs. Ensuite, il y a le fait que Blanche ait une sœur jumelle. Un jeu de miroir perturbant apparait puisque Virginie Efira interprète elle-même les deux femmes, que l’on différencie par la longueur des cheveux, et la proximité insaturée avec les affects de Blanche. Cette prise de hauteur n’est pas qu’un clin d’œil, la complicité entre les jumelles est à l’origine d’une idée très forte : si sa sœur est une alliée, Blanche ne peut en réalité compter que sur elle-même, puisqu’elle est aussi le visage de sa sœur. En s’adressant à son double, elle s’adresse aussi à sa conscience. Ne pouvoir compter que sur soi, telle est la lourde tache qui soutient ce récit d’émancipation.

Bande-annonce


Cannes 2023 – Première




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