LOVE ME TENDER
Une fin d’été, Clémence annonce à son ex-mari qu’elle a des histoires d’amour avec des femmes. Sa vie bascule lorsqu’il lui retire la garde de son fils. Clémence va devoir lutter pour rester mère, femme, libre.
Critique du film
Elle nage tous les jours. Elle a le dos et les épaules musclés, les cheveux courts, bruns, et quelques tatouages plus ou moins discrets. Elle sent le chlore et, parfois, un parfum qui plait aux femmes. Elle, c’est Clémence, une femme en quête de liberté qui a tout lâché. Sa carrière d’avocate pour devenir écrivaine. Son ex-mari, de qui elle s’est séparée pour retrouver sa liberté et vivre sa sexualité. C’est par un café, place Dauphine, avec celui dont elle n’est pas encore divorcée mais avec qui elle conserve de bons rapports dans l’intérêt de leur fils, que le film débute. Lui, manifestement, est toujours amoureux. Elle ne l’est plus du tout. « Je vis des histoires d’amour avec des femmes« , lâche-t-elle. Tentant de garder la face, le mari fait mine de se réjouir pour elle, mais sa phrase sonne faux. Définitivement éconduit, il dissimule mal sa déception et sa rancoeur, qu’il finira par laisser exploser peu après dans un conflit fait de silences, de mensonges et d’interdits, qui aura pour conséquence d’éloigner Clémence de son fils. Il a huit ans, son fils. Il s’appelle Paul.
Librement adapté de Love me tender de Constance Debré paru en 2020, le deuxième long-métrage d’Anna Cazenave Cambet (De l’or pour les chiens) pourrait avoir comme fil rouge la séparation. Celle que n’accepte pas l’ex-mari (campé par un Antoine Reinartz, à nouveau parfaitement détestable), mais surtout celle qu’il impose à la femme qu’il aimait, la privant de voir leur fils en le montant contre elle et en fomentant une improbable accusation d’inceste, comme pour la punir d’oser vivre sans sa vie sans lui. Derrière sa fierté mal (mâle ?) placée, et le deuil de leur histoire qui devient colère et agitation nerveuse, se cache sûrement une part de lesbophobie et de misogynie. Comment Clémence peut-elle tourner le dos à sa vie de famille ? Comment ose-t-elle s’émanciper de ce premier amant de vingt ans (et « sûrement le dernier ») et assumer la vie précaire plutôt que le confort d’une existence d’une mère de famille bourgeoise ?
S’offrant quelques libertés avec le roman, qu’elle étoffe ça et là, Anna Cazenave Cambet parvient à trouver le juste équilibre dans la périlleuse entreprise d’épure et de radicalité, en imposant sa belle sensibilité de cinéaste déjà découverte dans son précédent film. Faisant honneur à la langue tendue et dénudée de l’autrice, tout en lui offrant une incarnation puissante, elle raconte cette rupture imposée avec son fils, conséquence du divorce houleux et d’un système judiciaire implacable. Mais plutôt que le pathos attendu, Love me tender refuse les plaintes, évite l’amoncellement de regrets, et préfère raconter la quête de vérité et de liberté de son personnage principal. Parce que Love me tender ne parle pas d’histoires d’amour, même si Clémence en vivra une belle, tendre mais contrariée, avec une femme incarnée par Monia Chokri. Comme le roman de Constance Debré, le film raconte plutôt une tentative, celle de l’amour que l’on tente de se donner, la liberté qu’on s’efforce de s’autoriser, débarrassé·e des rôles et des mensonges.
Mais sa quête de liberté a un coût. Clémence se heurte aux préjugés, très résistants dans une société que l’on aimerait croire plus moderne. Elle sort de la norme, tente de s’en affranchir, et risque inévitablement de rester incomprise par les autres, y compris de son propre père, qui se prend (trop) souvent à compatir pour l’ex-mari, comme si l’émancipation d’une femme déroutait encore, dans une société encore conservatrice qui rejette ce qu’elle ne comprend pas. Et c’est comme si, finalement, la présence – ou plutôt l’absence – de son fils constituait le dernier lien avec son monde d’avant qu’elle ne parvenait pas à briser.
La recherche d’un salut, en soi
La grande beauté du film se trouve dans cette remise en question de la maternité comme norme sociale et de l’identité comme construction imposée. Anna Cazenave Cambet choisit une approche subtile, un brin moins radicale que l’écrivaine, mais saisit merveilleusement le revers de cette vie sans attaches faites de désir et de combats qui s’imposent malgré tout. Ce qui trouble, désarme et déchire le coeur, c’est que Love Me Tender sonne à la fois comme un manifeste d’émancipation, sec et bouleversant, et un cri de solitude, qui nous hante longuement après sa découverte.
Comme son héroïne, on se prend longtemps à croire à des retrouvailles, entre Clémence et son fils. Mais la vie en a décidé autrement. Le film a beau suivre ses démarches juridiques qui, sans cesse, la place face à des contraintes, il ne raconte pas réellement l’espoir de reconnexion d’une mère avec son fils. À force d’usure et de résistance, Clémence s’abîme, comme elle abîme ses potentielles histoires sentimentales, incapable de trouver la juste distance entre son romantisme, ses désirs et son attachement féroce à sa liberté. L’espoir d’un éventuel lien à retisser devient une prison qui la cloisonne. Alors, quand Clémence accepte ce non-retour, l’émotion se fait encore plus palpable dans nos coeurs. Loin d’être un échec, cette épiphanie lui promet enfin une voie vers l’acceptation, pour mieux affronter la perte sans s’y soumettre et tenter de faire de l’absence une matière vivante.
D’une grande poésie, grâce à la voix-off introspective de Vicky Krieps (sublime) et des choix de mise en scène sensorielles au plus près des peaux et des gestes, Love me tender clame avec vigueur qu’il vaut peut-être mieux continuer à aimer sans posséder, même si vivre libre coûte cher, et nous raccompagne vers un épilogue bouleversant de simplicité, un ultime acte de foi, la recherche d’un salut en soi.