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DES PREUVES D’AMOUR

Céline attend l’arrivée de son premier enfant. Mais elle n’est pas enceinte. Dans trois mois, c’est Nadia, sa femme, qui donnera naissance à leur fille. Sous le regard de ses amis, de sa mère, et aux yeux de la loi, elle cherche sa place et sa légitimité.

Critique du film

Premier long-métrage d’Alice Douard, présenté en première mondiale à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2025, Des preuves d’amour s’inscrit dans une tendance notable de cette édition : l’adaptation de courts-métrages primés en formats longs. À l’instar de Partir un jour d’Amélie Bonnin, film d’ouverture du festival, Alice Douard développe ici L’attente. Les deux réalisatrices se sont d’ailleurs succédé au palmarès du César du meilleur court-métrage de fiction en 2023 et 2024. Mais pour cette version longue, la réalisatrice a fait un choix différent en renouvelant entièrement son casting, confiant les rôles principaux à Ella Rumpf, Monia Chokri et Noémie Lvovsky. 

« On va avoir un enfant, en fait »

Alors que L’attente se déroulait l’espace d’une nuit à la maternité, des premières contractions à l’accouchement, Des preuves d’amour place son récit quelques mois en amont et suit Céline, une femme de 32 ans qui attend l’arrivée de son premier enfant avec sa compagne, Nadia, qui est enceinte. Au-delà des réjouissances de l’heureux événement à venir, cette situation place Céline dans une démarche contrainte de légitimité et de reconnaissance, tant aux yeux de la société que de sa propre famille. Le film aborde avec délicatesse les défis de la parentalité dans un couple lesbien, mettant en lumière les questionnements identitaires et les obstacles juridiques auxquels sont confrontées les familles homoparentales.

Alice Douard adopte une mise en scène sobre, pour mieux capturer l’authenticité des émotions de ses personnages, notamment la solitude et les doutes de Céline, mais aussi pour illustrer toute l’absurdité administrative autour des démarches légales qu’elle doit entreprendre pour devenir officiellement la mère de l’enfant de sa compagne. Le titre prend ainsi tout son sens : (en devant) Céline doit attester de son implication dans la vie de son futur enfant avant sa naissance et dans les premiers mois de son existence. Pour cela, il lui faut récolter une trentaine de tiers déclarants, collecter des photos et autres témoignages, soit purement et simplement fournir des « preuves d’amour » à un juge qui décidera, sur cette base, si elle peut adopter son enfant – le tout dans un délai pouvant aller jusqu’à deux ans (!).

Des preuves d'amour

Bonne mère

C’est toute l’absurdité et l’injustice subie par les familles homoparentales qui sont mises en exergue dans ce premier long métrage très réussi. Céline doit prouver qu’elle est déjà impliquée avant même sa naissance et qu’elle sera une bonne mère. Pourquoi devrait-elle jouer le parent modèle plus que les autres parents, hétérosexuels, auxquels on ne demande pas d’être à la hauteur ? Outre cette discrimination et les sempiternels commentaires non-sollicités autour de leur « situation », Céline doit aussi affronter l’appréhension liée à la naissance d’un enfant, inhérente à chaque futur parent, tout en tentant de reconstruire un semblant de relation avec sa mère, une pianiste célèbre qui l’a négligée au profit de sa carrière.

Au coeur du film, l’éblouissante Ella Rumpf incarne Céline avec une sensibilité remarquable, exprimant avec justesse les contradictions et les vulnérabilités de son personnage. Déjà excellente dans Love me tender d’Anna Cazenave Cambet, Monia Chokri lui donne la réplique dans le rôle de Nadia, apportant une présence chaleureuse et (parfois) rassurante, tandis que Noémie Lvovsky, en mère de Céline, livre une performance comme souvent entre le fantasque et la vulnérabilité, illustrant les incompréhensions intrafamiliales et ses regrets maternels.

Posant un regard lucide sur la condition des couples homo-parentaux et la cruauté du processus d’adoption depuis la Loi Taubira, Alice Douard n’en oublie pas d’instiller humour et tendresse, évitant les artifices inutiles pour mieux se focaliser sur une quête de vérité, sondant les interactions humaines et les non-dits, et renforçant ainsi l’impact émotionnel de son récit et la puissance évocatrice de son propos humaniste et politique.


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