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LA VIE RÊVÉE DE MISS FRAN

Fran est employée de bureau dans une petite entreprise portuaire de l’Oregon. D’une timidité maladive, cette célibataire mène une existence millimétrée, dénuée de toute fantaisie – exception faite des étranges rêveries auxquelles elle s’abandonne. Mais les choses changent le jour où Robert, nouvelle recrue fantasque et sympathique, fait mine de s’intéresser à elle… 

Critique du film

Loin du fracas du monde, La Vie rêvée de Miss Fran est une jolie parenthèse désenchantée qui regarde avec tendresse une femme sortir de sa coquille et accéder lentement mais sûrement à la surface des sentiments. Rachel Lambert filme avec infiniment de grâce le charme discret de la dépression.

Coeur à l’arrêt au port

Il n’y a pas plus réglée que la vie de Fran. Au bureau, les gestes mécaniques font office de rituel : poser la parka sur le fauteuil, en rabattre la capuche, allumer la lampe puis l’ordinateur. Autour d’elle, des discussions triviales, de la bonne humeur, ses collègues jouent la comédie des apparences à laquelle Fran a renoncé depuis longtemps. La fantomatique Fran, que personne ne remarque plus. Fondue dans le décor. Il ne faut pas longtemps à Rachel Lambert pour présenter son personnage telle une énigme. Fran est sans style, sans âge, sans joie mais pas sans imagination. La mise en scène d’un sempiternel quotidien est ainsi lardée de visions macabres et merveilleuses, étrangeté renforcée par un accompagnement musical qui tire le film vers le conte fantastique (le film s’ouvre sur un chevreuil en pleine ville). Il faut revenir au titre original, Sometimes I Think About Dying, pour comprendre à quel point la mort occupe l’esprit de Fran. Les représentations de sa propre mort agissent sur le film comme un contrepoint esthétique à la banalité du quotidien. Diverses vignettes qui pourraient constituer un calendrier insolite. Janvier, la mort en ce jardin ; février, la mort serpentine ; mars, la mort suspendue… 

la vie rêvée de miss fran

Murder party

Seule le vie du bureau est capable d’introduire des micro-événements dans la vie de Fran, aussi plate que ses ballerines. C’est d’abord le départ à la retraite d’une collègue qui lègue avec solennité et désinvolture une agrafeuse, une calculatrice et même, à qui le voudrait, la photo de son chien mort depuis 10 ans. Drôle de testament. C’est ensuite l’arrivée de son remplaçant, Robert, dont la présence joviale va déclencher un dérèglement. Robert et Fran sortent ensemble une première fois au cinéma, l’occasion de constater qu’ils ne partagent pas les mêmes goûts sauf en matière de pâtisserie (une tarte aux mûres qui fait écho au tout aussi décalé Blackbird, Blackberry de Elene Naveriani) et d’un baiser volé, seul moment d’égarement d’une soirée plutôt glaciale (il s’endort devant la télé). Ils se retrouvent lors d’une fête où est organisée une murder party au cours de laquelle, Fran oublie tous ses complexes et se montre particulièrement douée pour simuler l’agonie. La séquence résume à elle seule le ton du film, comédie dépressive où seul le spectateur a accès aux tourments de la vie intérieure de Fran (on notera que Rachel Lambert substitue favorablement l’imagerie à la voix off). 

Franchir le pont

Daisy Ridley incarne Fran, le film lui doit beaucoup tant elle réussit à faire vivre à la fois la femme résignée et l’animal aux aguets qui porte sur le monde un regard d’une grande honnêteté. Elle se place avec ce film en digne héritière de Frances McDormand, capable de captiver sans séduire. Fran a sacralisé son indépendance au point de s’emmurer vivante dedans. Comment s’en libérer sans se renier, voilà le dilemme. Le superbe pont métallique qui relie, depuis Astoria, l’Oregon à l’Etat de Washington, constitue le symbole d’un risque à prendre, d’une possible évasion. Les larmes qui coulent sur ses joues alors que Fran écoute Carol, l’ex-collègue fraîchement retraitée, lui dire la difficulté d’être un être humain à part entière, témoignent d’une sensibilité nouvelle. Une courte scène qui génère davantage d’empathie que toutes celles avec Robert, la tentative de comédie romantique étant l’aspect le plus convenu du film.

Bande-annonce




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