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HORIZONTE

Séparés pendant des années en raison d’un conflit armé, Basilio et sa mère se retrouvent enfin et se mettent en quête du père disparu. Mais tous deux sont désormais morts. Cherchant à expier ses crimes passés, commis à l’époque où il était un criminel de guerre, Basilio va tenter d’obtenir le difficile pardon de ses victimes. Mais aussi celui de sa propre mère…

Critique du film

D’une puissance visuelle rare, le deuxième long-métrage de César Augusto Acevedo souffre malheureusement d’un dolorisme appuyé qui en rapetisse sa portée.

Trauma et beauté

Il suffit généralement de quelques plans pour savoir qu’un film va nous procurer une expérience de cinéma singulière. À ce jeu là, César Augusto Acevedo est particulièrement doué. On se souvient du début de La Terre et l’ombre, Caméra d’or 2015 : un homme marche sur une piste bordée de champs de canne à sucre, au loin un camion apparaît, l’homme se range sur le côté, dos à la piste, se protège le visage, le camion avance à vive allure et passe en trombe à la hauteur de l’homme dans un nuage de poussière qui le recouvre tout entier. L’homme s’époussette tranquillement et reprend son chemin. Dix ans ont passé, et le cinéaste colombien semble rejouer le thème du retour.

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Cette fois, ce n’est pas le père qui rentre au bercail, mais le fils. Un cimetière, un fossoyeur, un paysage désolé, balayé par le brouillard, nous voilà à nouveau prêts au voyage. Tout, dans la première demi-heure du film, contribue à perdre le spectateur et dans le même temps, à retenir son attention. À peine l’homme a t-il retrouvé sa mère que les temporalités se chevauchent. Les personnages du présent du récit semblent convoquer ceux du passé et la narration progresse en juxtaposant les images d’un présent de moins en moins certain et les sons d’un passé de plus en plus prégnant. Ainsi, mère et fils traversent un village abandonné, lieu figé dans le temps. Le fils raconte et sa voix reconvoque par la bande sonore le trauma d’un massacre de civils. Nous sommes alors condamnés aux hypothèses. S’agit-il d’un rêve, d’un délire post-traumatique ou d’une plaidoirie pro domo face au jugement plein de commisération qu’on peut lire dans le regard de la mère ?

Bourreau et victime(s)

Une heure durant, Acevedo invente un temps tampon et déplie un espace à la fois concret et irréel. Le travail de la photographie, signée Mateo Guzman Sanchez, est splendide, mais surtout il transcende la découverte d’un univers dans lequel il est merveilleux de suivre les personnages quand bien même cette errance est pour eux tout sauf une promenade de santé. Morts et vivants se confondent et se répondent à l’écart de toute rationalité et l’on comprend que le voyage est avant tout chemin de rédemption. La violence est omniprésente mais toujours tenue hors champ. Cette violence, c’est celle de la guerre qui gangrène la société colombienne depuis des décennies, opposant forces gouvernementales et révolutionnaires.

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Enrôlé dès l’adolescence dans une faction, l’homme (on n’apprendra son prénom qu’à la toute dernière scène, comme une forme d’humanité retrouvée) n’aura d’autre choix que d’épouser la violence ambiante. Chaque rencontre est un miroir tendu à sa part d’inhumanité, sordide portrait dans lequel Inès, la mère, ne reconnaît pas son fils. Les paysages traversés – forêt, prairie, chemin de crête – sont autant de limbes où se dressent les victimes en quête d’explication et de justice. Le récit s’attarde sur la première victime, le crime originel après quoi tout n’a été que fuite et escalade, le premier nœud moral d’une corde impossible à couper qui conduit tout droit aux enfers. Après une heure, le mot culpabilité est prononcé. Sans renoncer à produire des images puissamment évocatrices, le film bascule alors dans un discours d’apitoiement très appuyé, pas exempt de complaisance dans sa manière d’accompagner un parcours de mortification exemplaire.

Tout le champ lexical religieux est patiemment labouré par les dialogues entre la mère et le fils : foi, sacrifice, repentance, expiation, pardon. Sur le chemin de la rédemption, l’homme s’était d’abord crevé les yeux, puis avait supplié sa mère de lui mutiler les mains. À vouloir faire porter le poids d’une violence endémique sur les seules épaule d’un personnage, Acevedo s’est peut-être enfermé dans une voie trop étroite. Mais surtout, à mesure que le film avance, on pressent avec force crainte, qu’il ne soit engagé, par conviction, sur la voie d’une inévitable délivrance. On laissera à chacun·e le soin de vérifier notre appréhension.
César Augusto Acevedo est un cinéaste inspiré, sans doute surdoué, Horizonte marque une étape importante dans l’affirmation de cette évidence, on espère ne pas attendre dix ans pour le voir manier ses sujets avec plus de légèreté.

Bande-annonce

4 juin 2025 – De César Acevedo