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CHARLÈNE FAVIER | Interview

Comme bien d’autres films, Slalom a vécu un long report suite à la fermeture des salles à cause de la pandémie. Alors que le film va enfin pouvoir rencontrer son public lors de la réouverture des cinémas, Charlène Favier nous a accordé un bref entretien pour évoquer ce tournage sur les terres de son enfance et ses thématiques difficiles.


L’affect, sur ses terres

Charlène Favier : Ce film est né de ce lieu où j’ai grandi, de l’amour que j’ai pour ces montagnes. J’avais vraiment envie de filmer ça, je trouve que c’est extrêmement ciné-génique et trop peu utilisé au cinéma. Il y avait plein de choses que j’avais envie de faire là-bas. C’est sûr qu’en effet c’est compliqué, mais en même temps c’est une fiction, on peut raconter n’importe quelle histoire dans n’importe quel décor. Après l’important c’est de bien la raconter, avec le cœur et les tripes, c’est ça qui est le plus important.

Quand j’ai écrit ce scénario en 2015, je n’ai pas vraiment pris conscience de ce que j’étais en train d’écrire. Ce n’était pas la réponse épidermique à quelque chose de précis, parce qu’à cette date il n’y avait pas encore eu toutes ces histoires qui sont sorties par la suite. Je pense qu’il y avait des ingrédients qui me sont tombés dessus, qui étaient en moi et qui résonnaient très fort. Il y a cette montagne, le ski, cette vitesse que j’avais envie de filmer, le vertige, la relation entraineur/entrainée que j’ai connue et je savais qu’il y avait là un territoire de dramaturgie qui était hyper intéressant. Finalement, j’ai un peu mis tout ça dans un shaker et le scénario est un peu né de manière complètement inconsciente.

Au final, je ne me suis pas vraiment posé de questions, un peu à l’image de mon arrivée dans le cinéma. Je ne viens pas du tout de ce milieu-là. D’un seul coup, je me suis mise à faire du cinéma, mais sans me demander s’il fallait que je fasse une école. Je n’ai rien fait de ce genre là, j’ai fait tout de suite du cinéma.

La solitude

CF : C’était très important pour moi de parler de solitude, parce que finalement quand on vit ça à quinze ans, cette expérience d’intégrer d’un seul coup un cursus de haut niveau, on est seul. Seul avec soi-même et avec l’entraîneur, et aussi avec la pression qu’on s’impose et qu’on nous impose. Il faut comprendre que souvent personne ne comprend ce que l’on est en train de vivre. Alors là, c’est vrai que j’ai choisi d’éloigner la mère. Il y a beaucoup d’enfants qui vivent seuls là haut en montagne, parce que les parents travaillent énormément. On fonctionne sur le rythme des saisons, c’est tous les jours, sans week-end, souvent ce sont des commerçants et ils ont très peu de temps et les enfants sont un peu livrés à eux-mêmes.

J’ai connu ça, j’ai eu une enfance par moment où j’étais un peu seule, et j’avais envie de mettre en exergue la relation avec le coach. J’aurais pu choisir un autre cas de figure qui était les parents qui sont très présents, tout le temps, qui poussent leurs gamins, qui vivent à travers eux ce désir de réussite. Mais ce n’est pas ça que j’avais envie de raconter, mais comment à quinze ans, d’un seul coup, on vit dans un monde seul, et on doit se débrouiller seul avec les armes qu’on a ou qu’on a pas. Et réaliser ce qui se passe à ce moment là. La manière dont Lyz est seule, elle regarde la montagne, qui reflète un peu ce qu’il y a en elle, et ce dialogue il est en elle tout le temps.

Sa collaboration avec le chef-op Yann Maritaud

CF : Yann est un ami très proche depuis plus de dix ans. Nous sommes clairement les meilleurs amis de façon réciproque, on a une relation très proche depuis très longtemps. On s’est rencontrés à 25 ans, on faisait des court-métrages ensemble, on commençait tous les deux. On a fait quelque chose comme cinq ou six courts tous les deux. On a même plus besoin de se parler.

Dès que j’ai commencé à écrire les premières lignes de Slalom, il était là, il a lu toutes les versions du scénario. Près de quatre ans avant de faire le film, il en a entendu parler. Ensemble, dans tous ces films, on a essayé plein de choses. Moi j’adore la technique, je fais tous mes plans de sols, tous mes découpages moi-même. Et Yann intervient très tôt dans cette démarche, je suis très active dans mon découpage où je travaille chaque plan comme un tableau, et Yann a un rôle important dans tout ça. On parle de tout, on travaille le scénario ensemble, la direction artistique, le décor, un travail avec la cheffe décoratrice avec qui on parle à deux vraiment, pareil avec la costumière. On a essayé plein de choses très différentes sur plein de court-métrages et on adore être très radicaux et on s’était entendus presque comme un dogme d’être tout le temps du point de vue de Lyz, quitte à prendre des gros risques.

Un travail en binôme

CF : Le rouge utilisé, c’est aussi un risque énorme qu’on a pris dans la scène de rédemption quand il la frappe, il n’y a que la lumière du soleil qui éclaire les comédiens. On a mis des filtres rouges sur les fenêtres sans que ce soit fait en post-production, on s’est dit « là on balance ça ». On adore prendre ces risques, aller à chaque fois plus loin, et on hâte de faire un nouveau film ensemble. On sait ce qu’on ne va plus faire, ce qu’on va essayer de faire, c’est un vrai travail de binôme.

Yann au delà de l’image, défend énormément le film, notamment quand on reçu le prix Magelis à Angoulême. C’est plus qu’un chef-opérateur, il porte le film sur ses épaules avec moi des premières lignes du scénario jusqu’à la fin de la post-production. Un vrai binôme artistique.


Propos recueillis par F. Boutet pour Le Bleu du Miroir au festival de Deauville

© Crédits photos : merci à Sylvie Castioni pour ce superbe portrait