YOROÏ
Après une dernière tournée éprouvante, Aurélien décide de s’installer au Japon avec sa femme Nanako, enceinte de leur premier enfant. Alors que le jeune couple emménage dans une maison traditionnelle dans la campagne japonaise, Aurélien découvre dans un puits une armure ancestrale qui va réveiller d’étranges créatures, les Yokaïs.
Critique du film
Il n’était guère surprenant d’apprendre que le rappeur et chanteur Orelsan serait de retour sur grand écran en 2025. Avec une carrière musicale presque sans fautes, le Normand n’a jamais vraiment délaissé l’audiovisuel, alternant entre les formats courts du groupe Canal+ et des œuvres plus conséquentes, telle Comment c’est loin, faux récit racontant les vraies galères d’un groupe de rap à la dérive. La véritable surprise est plutôt venue au visionnage de la bande-annonce : cadre nippon folklorique, démons japonais agressifs et armure de chevalier du Zodiaque – il y avait de quoi être sincèrement étonné par des choix esthétiques aussi fantasques, surtout après un univers musical et visuel récemment ancré dans la réalité et les tracas du quotidien.
L’impression claire et nette d’un délire enfantin porté au cinéma pour le pur plaisir de son auteur restait prépondérante. Cent-six minutes de long-métrage plus tard, la prémonition n’était pas si folle, bien qu’un peu réductrice. Yoroï est une comédie kitsch assumée, portant toutefois des enjeux sérieux, similaires (peut-être trop) à ceux déjà présents dans les textes de l’artiste. Certains se rappelleront très certainement du clip de Ils sont cool des Casseurs Flowters, farandole d’effets visuels super-héroïques singeant l’animation japonaise des années 1990. La référence à ce clip n’a rien de nostalgique : il s’agit sans doute de la pièce audiovisuelle la plus proche de ce que propose Yoroï en 2025. On retrouve David Thomaszewsky derrière la caméra, les armures en plastique et le bourrage de pif au second degré. Dès cette comparaison, on sent la faiblesse du long-métrage : l’idée de base semble bien plus adaptée à un clip musical de quatre ou cinq minutes qu’à un film de près de deux heures.
La recette s’avère finalement assez classique : Aurélien Cotentin, dans son propre rôle, doit affronter la matérialisation de ses peurs en yokais. Se déchaîne alors une avalanche de VFX et d’effets pratiques pour donner vie à ces créatures tout droit sorties d’une psyché torturée. D’une certaine manière, la sauce prend un temps : les chorégraphies, soignées, rappellent l’hyperbole volontaire du cinéma hongkongais. Une légère fascination s’éveille face à ces monstres imparfaits, résurgences des démons intérieurs d’une célébrité torturée. On embarque volontiers dans Yoroï avec la meilleure volonté du monde, mais cette indulgence devient vite difficile à maintenir – tout du moins pour les fans du bonhomme. Le reste du public aura sans doute déjà qualifié l’œuvre de « nanar » au mieux, ou de « monstruosité pataude » au pire.

Yoroï est peut-être davantage l’incarnation d’une blague poussée trop loin que la traduction des angoisses morales d’Orelsan. Le ton léger se marie mal à une introspection plus proche de l’ego trip que de la psychanalyse, sans compter que le rappeur a tendance à se répéter ou à enfoncer des portes ouvertes – dans la droite lignée de ses amis de la saison 2 de Bref, une grande équipe de quarantenaires en pleine crise. Difficile de prendre au sérieux les tirades philosophiques qui ponctuent des combats d’arts martiaux fumeux. Le pinacle de la remise en question est censé se trouver dans une séquence finale à peine inspirée d’un certain Fight Club, où s’affrontent figure originelle et alter ego maléfique. Le climax tombe à plat malgré une certaine réussite visuelle, la confrontation affichant une maturité douteuse et un cynisme mal dosé.
Tout comme la célébrité pèse sur le chanteur, c’est sans doute elle qui empêche parfois la connexion avec le film. Si l’on pouvait être touché par la perdition des deux jeunes ratés de Comment c’est loin, les tourments plus métaphoriques de Yoroï peinent à prendre forme. Le morceau d’introduction, fidèle aux capacités du rappeur, est probablement la partie la plus dense du long-métrage, narrant à elle seule ce que le film peine ensuite à formaliser sans trébucher dans un burlesque un peu niais et une narration linéaire, souvent répétitive.
S’il faut saluer la prise de risques d’un artiste qui n’a plus rien à prouver dans son milieu, il est d’autant plus regrettable de ne pas voir cette tentative aboutir. Les véritables forces de l’œuvre résident dans ses quelques morceaux chantés — qui, il faut le rappeler, ne sont qu’au nombre de trois.






