STRANGER EYES
Un jeune couple à la recherche de leur petite fille disparue découvre des enregistrements vidéo de leurs moments les plus intimes pris par un mystérieux voyeur, les conduisant à enquêter pour révéler la vérité derrière ces images – et sur eux-mêmes.
Critique du film
En août 1962, dans les bureaux d’Universal, Alfred Hitchcock expliquait à François Truffaut que « tous les spectateurs sont des voyeurs ». Le réalisateur des 400 Coups abondait dans ce sens en argumentant que James Stewart se situait dans la même position que le spectateur dans Fenêtre sur cour, regardant ses voisins depuis la fenêtre, cloué dans son fauteuil comme l’audience vissée dans son siège face à l’écran. Aujourd’hui, à l’heure de la surveillance globalisée et de notre hyper présence digitale, le nombre de sujets observés et de voyeurs n’a jamais été aussi élevé. Ces acteurs filmés leur insu est une préoccupation assez cohérente pour Yeo Siew Hua, né à Singapour, une cité-état comptant 90 000 caméras de surveillance pour un peu plus de 5 millions d’habitants.
Paradoxalement, la genèse du récit vient d’un déficit de surveillance. Junyang, jeune père de famille, va perdre de vue sa fillette alors qu’il répond à un appel au téléphone. Durant ce petit instant de distraction, l’enfant est kidnappée. Aucun témoin n’a assisté à la scène, les recherches de la police patinent et les gens du quartier se désintéressent progressivement de l’affaire suite au manque d’espoir de retrouver la petite fille.
Le cinéaste installe très vite le sentiment de désespoir des parents. Le film s’ouvre avec le visionnage de la mère d’anciennes vidéos de souvenirs de famille. Elle regarde inlassablement ces images, espérant y trouver un indice pour retrouver sa fille. De son côté, le père va lui prendre en filature une femme poussant dans un landeau un sosie de son propre enfant. Si la lenteur du script est particulièrement pénible dans son dernier tiers, ce rythme méditatif fonctionne bien dans ces premiers actes tant le réalisateur arrive, à quelques reprises, à le briser pour offrir des moments de stupéfaction. Après avoir suivi cette mère solitaire partout dans le centre commercial, Junyang profite que celle-ci ait le dos tourné pour se rapprocher de la fillette et la prendre dans ses bras.
La construction lente menant à cette séquence tient une grande partie de son pouvoir déconcertant au visage impassible de Junyang (Wu Chien-Ho). Il est impossible de saisir ce qu’il se passe derrière son visage stoïque, laissant possible toutes les hypothèses. Va t’il kidnapper le bébé pour se venger ? Est-ce que le bébé est véritablement son enfant ? Yeo Siew Hua a su bien utiliser le jeu de son acteur pour rendre d’autant plus perturbant la bascule entre le premier et le deuxième acte. En effet, si dans le premier, Junyang ne semble présenter aucun défaut de caractère, la perception qu’a le spectateur de ce personnage va être altérée lorsque le film change de perspective pour ne plus emprunter la sienne mais celle de Lao Wu, le voisin que le couple et la police suspectent d’avoir kidnappé leur fille.
Si le film est excellent dans sa partie thriller, arrivant à tenir en haleine son spectateur dans le mystère entourant la disparition de la petite fille, son propos sur la surveillance paraît moins intelligible. C’est particulièrement frustrant car Yeo Siew Hua arrive à faire coexister au sein de son récit différentes versions de ses personnages en fonction de qui les regarde, mais il n’arrive jamais vraiment à en tirer une matière réflexive ou divertissante qui irait au-delà du simple constat. Miné par une conclusion précipitée dans sa deuxième partie et un dernier chapitre inutilement étiré, Stranger Eyes dilue peu à peu sa tension initiale, jusqu’à perdre de vue son potentiel de thriller contemporain efficace.
Bande-annonce
25 juin 2025 – De Siew Hua Yeo