Sterben

STERBEN

La famille Lunies est approchée par la mort de toute part. Lissy est heureuse de voir son mari Gerd, atteint de démence, dépérir lentement dans une maison de retraite. Mais sa nouvelle liberté est de courte durée : Le diabète, le cancer et l’insuffisance rénale font qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre. Son fils Tom travaille sur une composition intitulée « Dying », tout en devenant le père de substitution de l’enfant de son ex-petite amie. Ellen. La sœur de Tom, entame une liaison avec Sebastian, un homme marié, avec lequel elle partage une passion pour l’alcool.

Critique du film

Pour aborder un film comme Sterben de Matthias Glasner, il faut presque faire un examen de conscience. Aborder un tel film, de plus de trois heures, demande une certaine préparation. Complexe et atypique, il est emprunt d’une philosophie « brechtienne » éloigné d’une vision « romantique » des relations humaines. Dans le film, chaque chapitre s’attache à un personnage, de la famille Lunies, ou à une idée artistique, comme celui de la fine ligne qui sépare l’intention de l’artiste et la réception de celle-ci par le spectateur. Cette famille ne brille pas par l’amour que se portent ses différents membres, et tout ne se finit pas dans une fin heureuse où la concorde triomphe. La première scène, voyant Lissy, septuagénaire pataugeant dans ses excréments, pendant que son mari Gerd erre à demi-nu à l’extérieur de leur appartement, pose les bases d’une drôle de fiction.

Pourtant, si on arrive à dépasser ce cadre aride, on remarque rapidement que Matthias Glasner bâtit une plateforme merveilleuse pour ses acteurs. L’espace de jeu qu’il leur laisse pour travailler leur art est proprement saisissant. Le meilleur exemple est une scène de 24 minutes entre Lissy, joué par Corinna Harfouch, et Lars Eidinger, son fils Tom. Si la scène a une base écrite très fournie dans le scénario du film, le réalisateur l’abandonne pour laisser ces deux immenses acteur et actrice se l’approprier et livrer une prestation proprement estomaquante. Les aveux que se font cette mère et son fils sont d’une cruauté et une dureté incroyables, mais dans un ton juste et grandiose. Tout le reste du récit est à l’image de cette scène, le drame s’épaississant de détails et de sous-intrigues pour former un gigantesque corpus de possibilités.

Le mal est tapi dans chaque recoin de Sterben, qui signifie littéralement mourir en allemand, et représente le nom de la pièce que conduit Tom, chef d’orchestre à Berlin. Toute la thématique du film est également contenue dans un monologue où le compositeur de la pièce, Bernard, explique à un musicien qui lui reproche qu’il n’y a pas d’espoir dans sa musique, que celui-ci réside au contraire dans le fait de jouer. Si cette histoire est horriblement sombre et dramatique, elle trouve sa raison d’être et sa lumière du fait d’exister, de faire vibrer la vie par l’entremise de ses personnages. Ici encore, il faut bien comprendre qu’aucune situation ne peut trouver d’issue positive, le romantisme étant banni du centre de la caméra.

sterben

La sœur de Tom, Ellen, est une autre facette de cette idée bien particulière. Enfant désirée et aimée par ses parents, au contraire de Tom, elle a dérivé de la cellule familiale jusqu’à une bulle où coule l’alcool et à une destruction progressive de toute ce qui l’entoure. Elle nous est présentée endormie sur une table d’un hôtel, ignorant comment elle a pu arriver là, ou même dans quel pays se trouve cet établissement. Ellen représente un visage « punk » au sein d’un film existentialiste, et cet angle est lui aussi des plus prenants et fascinants. Cette narration qui alterne les points de vue les fait également se croiser, c’est ainsi que la sœur finit par assister au concert du frère, délivrant une part de chaos jubilatoire qui n’est pas sans rappeler la scène du bateau dans Sans filtre de Ruben Ostlund. Au-delà des évidences scabreuses, c’est une part d’absurde qui fait irruption dans le plan, ridiculisant les trop sérieux Tom et Bernard.

C’est la façon dont le film se retourne en permanence sur lui-même qui montre tout le génie de cette mise en scène qui fait la part belle aux acteurs, les mettant au centre du projet, dans un étonnement permanent. C’est une proposition passionnante que nous offre Matthias Glasner, exigeante, douloureuse, mais d’une qualité tant dans l’interprétation que la mise en scène qui mérite toute notre attention et notre admiration.


De Matthias Glasner, avec Lars Eidinger, Corinna Harfouch et Lilith Stangenberg.


Berlinale 2024




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