SLEEP
La vie d’un jeune couple est bouleversée quand le mari devient somnambule et se transforme en quelqu’un d’autre la nuit tombée. Sa femme, submergée par la peur qu’il fasse du mal à leur nouveau-né, ne trouve alors plus le sommeil….
Critique du film
Remarqué à la Semaine de la Critique au dernier festival de Cannes, puis récompensé la même année du Grand Prix au dernier festival du film fantastique de Gérardmer, Sleep débarque sur les écrans français précédé d’une réputation plus que solide. Un coup de projecteur non négligeable pour le premier long-métrage signé Jason Yu, jeune cinéaste sud-coréen ayant fait ses armes en tant qu’assistant réalisateur sur Okja de Bong Joonho. Ce dernier n’a d’ailleurs pas hésité à adouber le projet de son ancien collaborateur, qualifiant Sleep de « film d’horreur le plus unique [qu’il ait] vu au cours des dix dernières années ». De quoi attiser encore plus la curiosité des cinéphiles en mal de frissons.
Qui dort, assassine
Comme point de départ de son intrigue, Sleep s’empare d’un sujet en or pour susciter l’effroi : le somnambulisme. En termes de cinégénie horrifique, cette pathologie a ceci d’intéressant qu’elle peut être abordée à la fois sous un angle purement rationnel et scientifique, tout en convoquant un imaginaire plus trouble et angoissant. Après tout, un tel état ne révèle-t-il pas une part de l’inconscient de celui qui le subit (et à fortiori contre sa volonté) ? Jason Yu explore cette dualité terrifiante avec malice, laissant constamment au spectateur la possibilité de se prononcer sur le caractère surnaturel ou non des événements présentés – du moins jusqu’au dernier segment du film, judicieusement découpé en trois chapitres.
Soojinn, l’héroïne, se retrouve confrontée chaque nuit aux troubles nocturnes dont est victime son mari. Et si ces manifestations demeurent anodines dans un premier temps (sommeil agité, déambulations dans l’appartement…), elles prennent rapidement une tournure plus inquiétante. Inutile de divulgâcher la nature de ces situations cauchemardesques. Comme tout bon film d’angoisse, Sleep prend un malin plaisir à jouer avec les nerfs de son spectateur, dévoilant par à-coups une menace toujours plus prégnante. Jason Yu parvient à construire des scènes à la tension remarquable en mettant à profit toute la grammaire du cinéma d’horreur à sa disposition. Son utilisation du hors champs et le soin apporté au montage son participent activement à la dimension anxiogène du film.
Dans de beaux draps…
Largement influencé par Bong Joonho dans ses choix de mise en scène, notamment dans la gestion topographique de l’appartement où se déroule la quasi-intégralité de l’intrigue, Jason Yu emprunte également à son mentor lorsqu’il opère régulièrement des ruptures de ton au sein du récit. En cela, le réalisateur marche plus globalement dans les pas de tout un pan du cinéma sud-coréen, coutumier du mélange des genres. Sleep ne fait pas exception et regorge de moments absurdes qui provoquent à la fois le rire et l’effroi à quelques secondes d’intervalle. La séquence impliquant des gants de cuisine est à ce titre un modèle de rythmique et de découpage exécuté avec une parfaite harmonie. En résulte un tempo comique / horrifique extrêmement efficace, qui pourra sans doute dérouter un public plus habitué aux codes du cinéma de genre américain.
La maitrise de Jason Yu impressionne donc autant que l’efficacité et l’élégance de sa mise en scène. Pour autant, il semble manquer au film une certaine forme de singularité au terme de son visionnage. Car s’il ne sacrifie jamais sa narration au profit d’effets de style faciles ou « putassiers » (pas de « jumpscares » intempestifs à déplorer), le réalisateur avance malgré tout en terrain connu, bardé de références toutes très identifiables. Même lorsqu’il s’autorise à un humour noir plus féroce dans son final et pousse son héroïne dans ses retranchements moraux, le cinéaste ne parvient pas totalement à se défaire des œuvres qui l’ont précédé (celles de Sam Raimi par exemple), peu importe la virtuosité avec laquelle il livre sa copie.
Finalement, rien qui n’entrave le plaisir immédiat de spectateur ressenti devant ce premier film abouti et ultra calibré qui donne très envie de suivre la carrière de son jeune réalisateur. Un cinéaste dont on espère qu’il trouvera sa propre voie dans des propositions plus folles et plus personnelles que ce Sleep, qui risque de ne pas marquer les esprits sur le long terme. Et ce quoi qu’en pense Bong Joon-ho.
Bande-annonce
21 février 2024 – De Jason Yu, avec Jeong Yumi et Lee Sunkyun
