202402642_2

ALL SHALL BE WELL

Après le décès de son compagnon, Angie doit s’occuper de l’appartement dans lequel le couple a vécu ensemble pendant plus de 30 ans.

Critique du film

S’il est réalisateur depuis près de vingt ans, c’est en juin 2021 que Ray Yeung s’est fait un nom en France avec son troisième long-métrage, Un printemps à Hong-Kong. Peu de temps après la réouverture des salles de cinéma en France et la fin des mesures sanitaires liées à la pandémie de covid-19, ce très beau film avait su toucher juste en évoquant une communauté gay hong-kongaise, et plus précisément d’hommes âgés cachant leurs amours, dans une clandestinité douloureuse. Ray Yeung continue dans cette veine intime, autour d’un couple de femmes dont l’une d’entre elles décèdent subitement, sans avoir pu faire de testament ni signer aucun papier officiel mettant à l’abri sa compagne de toujours.

Le film a pour titre international All shall be well, qu’on peut traduire par « Tout va bien se passer », comme un encouragement vis-à-vis de cette étape difficile où une personne se retrouve seule face à son deuil. Toute la narration est construite dans une forme de déconstruction de cette affirmation. Cette vision positive va se confronter à une réalité, froide et implacable, où l’absence de cadre légal autour des couples de même sexe aboutit à des situations dramatiques. La perte de l’être aimé se double ainsi d’une série d’humiliation phénoménale, atteignant son paroxysme dans le film avec l’éviction d’Angie de son appartement, qui était uniquement au nom de Pat, sa partenaire de vie décédée.


Si tout ne va pas bien se dérouler pour Angie, c’est à cause des enjeux financiers qui entourent la succession de Pat. En quelques semaines, toutes les images de concorde, l’illusion d’avoir une famille, tout vole en éclat. L’auteur prend le soin de présenter cette dégradation de la situation d’Angie graduellement. Cela n’en est que plus violent à l’écran, dans un effet de sidération initial qui paralyse, avant de révolter, puis de faire perdre toute confiance en elle à ce très beau personnage de femme. Cette « deuxième mort » est administrée par la famille de la défunte, qui instrumentalise sa parente pour mettre la main sur des biens qui lui a fait envie toute sa vie. Cette réalité, née d’entretiens réalisés par le cinéaste, retranscrit au plus près les drames vécus par des couples similaires à celui de Pat et Angie.

Une des plus belles scènes du film est aussi une leçon redoutable à plus d’un titre. Angie va voir une amie avocate pour lui avouer qu’elle est prête à capituler devant la famille de Pat, car après tout elle veut leur bien, et leur laisser son appartement aurait peut être été son choix. La lecture d’un testament non encore signé rédigé par Pat est le sommet émotionnel du film. Ces quelques lignes restaurent à la fois la confiance du personnage, mais aussi d’une certaine manière son amour pour Pat, comme une piqure de rappel sur la racine du doute instillé par cette famille avide de récupérer les biens de leur parente. Plus que tout autre chose, cette scène rappelle l’importance du cadre légal pour les communautés LGBTQIA+.

Au delà de l’histoire intime qu’il raconte, Ray Yeung livre un plaidoyer pour la reconnaissance légale des couples homosexuels, et une forme de protection fondamentale contre ce type de situation romanesque qui fait tout perdre au membre survivant du couple. Plus qu’une question de confiance ou d’insouciance, c’est de survie dont nous parle All shall be well, loin de l’angélisme du postulat de départ, nous montrant une vie de famille heureuse où toutes sont acceptées pour ce qu’elles sont. Une fois les masques tombés, l’agressivité des intérêts personnels est terrifiante, superbement représentée par le casting du film, et notamment par la grâce et la combattivité de Patra Au, magnifique dans son rôle d’Angie.

De Ray Yeung, avec Patra Au, Lin Lin et Tai-Bo.


Berlinale 2024




%d blogueurs aiment cette page :