SEPTEMBER & JULY
Les sœurs July et September sont inséparables. July, la plus jeune, vit sous la protection de sa grande sœur. Leur dynamique particulière est une préoccupation pour leur mère célibataire, Sheela. Lorsque September est exclue temporairement du Lycée, July doit se débrouiller seule, et commence à affirmer son indépendance. Après un événement mystérieux, elles se réfugient toutes les trois dans une maison de campagne, mais tout a changé…
Critique du film
Le cinéma européen s’est-il ouvert une voie royale vers l’exploration d’une jeunesse désabusée ? Ces derniers temps, difficile de ne pas passer à côté de ce sujet dans les salles obscures ainsi que les festivals accompagnant ces films. Repensons, par exemple, à The Outrun de Nora Fingsheidt, qui racontait le chemin de croix vers la sobriété d’une jeune femme incarnée par Saiorse Ronan. Il y a deux ans, Jessica Hausner auscultait sardoniquement une jeunesse anxieuse et inflexible dans son Club Zero. Et en attendant que le public puisse découvrir When The Light Breaks, drame islandais qui a figuré à la sélection 2024 d’Un Certain Regard au même titre que le film dont il est question ici (et qui sortira le même jour), Ariane Labed signe un film qui ne cesse jamais d’étonner par ses idées pour parler de dysfonctionnement familial dans September & July, son premier long-métrage adapté du roman Sisters de Daisy Johnson.
Plusieurs modèles de cinéma sautent aux yeux lors des premières minutes de September & July : le cinéma d’horreur, tout d’abord. Lors d’un shooting-photo, nous rencontrons les héroïnes du film rajeunies et déguisées en sœurs jumelles qui tourmentent le jeune Danny dans Shining. Puis, par un jeu d’obédience qui se joue entre la mère photographe et ses enfants qui servent de modèles, tout un pan du cinéma familial dysfonctionnel (majoritairement opéré en Europe) se dévoile par des simples directions lancées par la figure maternelle. Cette dynamique familiale, imposée en règles établies, nous ramène bien évidemment à Yorgos Lanthimos, à la vie de famille totalitaire dans Canine et à l’obédience aux normes étudiée dans l’ensemble de sa filmographie. Mais ici, point de réalisme magique high-concept. Si la première partie de September Says laisse dissiper cette influence de The Lobster dans l’air par le « règne animal » montré, il s’empare pourtant d’un environnement cinématographique que l’on pensait connaître sur le bout des doigts : celui du teen-movie.
Sans fantaisie, le monde impitoyable du lycée est dépeint en une jungle où tous les coups sont permis envers celles et ceux que l’on perçoit comme des « freaks ». Le film nous plonge dans le quotidien de deux sœurs essayant de survivre instinctivement par leurs propres règles. Des règles exclusivement établies par l’ainée des deux soeurs, September, qui peuvent aussi bien paraître absurdes (« On ne mange plus ce qui est en rouge, dorénavant » lance-t-elle à table avant de jeter des bonbons de cette couleur par terre dans une scène survenant plus tard) que violentes (la moindre moquerie sera l’objet de représailles tapageuses).
En ce stade, le film se révèle particulièrement ludique dans cette perpétuelle réinvention des règles. On est sans cesse surpris par le moindre détail qui nous est révélé dans un jeu déroutant mais également attachant par le portrait de famille dysfonctionnel que la cinéaste explore à l’écran. C’est en ce sens que la deuxième partie, après un événement pivot dans le déroulement de l’intrigue, se révèle moins portée par la spontanéité des défis lancés au départ mais nous cueille par le thriller tragique qu’elle instaure. Éloigné du cercle scolaire, le film va alors s’intéresser à la thématique de l’emprise et ses différentes formes en se concentrant sur le parcours initiatique que va suivre July, la plus jeune des sœurs. Une seconde moitié qui va prendre davantage son temps pour raconter ce chemin, sans cesse parsemé d’obstacles laissés par les figures constituant la cellule familiale.
Le dévoilement d’un retournement de situation pourrait donner une impression de déjà-vu à la finalité du film. Une sorte de thriller psychologique DePalma-esque qui aurait été croisé avec le teen-movie. Pourtant, Ariane Labed fait preuve d’un détachement total de ces influences en imprégnant son intrigue d’une atmosphère étrange qui nous emporte tout du long : une atmosphère à la limite de l’onirisme, alimentée par le regard spleenesque et bizarre qu’ont les héroïnes du film sur le monde qui les entoure. Son regard parvient à être accompagné par celui du public, acceptant très facilement l’invitation à ce quotidien par le talent de sa réalisatrice à ne pas laisser le moindre détail dans le coin. September & July ressemble à un rêve étrange, où l’on passe par différents registres et tonalités, et qui aura du mal à quitter votre esprit par son habileté à mettre personnages et spectacteurs dans différents états.