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LES PRÉDATEURS

Miriam est une femme-vampire née en Egypte il y a 4000 ans. Elle possède le don de l’immortalité et de la jeunesse. Elle vit,désormais, à New York, avec son compagnon John depuis 300 ans. John est alors frappé d’un processus accéléré de vieillissement. Afin de tenter de le sauver, Miriam rencontre la séduisante Sarah, docteur spécialiste des mécanismes du vieillissement, sur laquelle elle jette son dévolu…

Critique du film

Un premier film est toujours la promesse d’un cinéaste. La presse n’avait sans doute pas cet aphorisme en tête lorsqu’elle découvre Les prédateurs lors de sa présentation en Hors Compétition au festival de Cannes 1983. Mal reçu, mal compris et donc étrillé par une bonne partie de la critique à sa sortie, le premier long-métrage de Tony Scott fait partie de ces œuvres à qui le temps a fini par rendre justice. Car sous ses airs de film de vampires marqué par l’esthétique outrancière des « années 80 », Les prédateurs demeure une relecture mythologique passionnante, totalement en prise avec son époque.

Le bal des vampires

« Bela Lugosi’s dead ». C’est par ces mots, scandés par le groupe de rock gothique britannique Bauhaus, que s’ouvre le film dans l’atmosphère hypnotique d’une boite de nuit. Plus qu’un clin d’œil à l’iconique interprète de Dracula, ce choix témoigne avant tout d’une note d’intention claire : dépoussiérer le mythe. L’image d’Épinal d’une créature recluse, allergique à la lumière et drapée d’une longue cape est ainsi immédiatement reléguée au passé. Dans le New York 80’s des Prédateurs, le vampire prend plutôt la forme d’êtres au teint diaphane, aux tenues branchées et évoluant dans les milieux underground à la recherche d’amants potentiels. Des proies dont ils finissent par se repaitre au moment de passer à l’acte.

Le mode opératoire du couple incarné par Catherine Deneuve et David Bowie dépeint dès la première séquence a ceci d’intéressant qu’il tient à la fois de la figure imposée par le genre (le vampire qui se nourrit de sang humain pour survivre), tout en tranchant radicalement avec toute forme classique, dans un esprit de modernisation totale. En d’autres termes, l’entreprise de séduction opérée par Miriam et John se conclue par la morsure vampirique attendue mais celle-ci a lieu lors d’un climax charnel assez inédit jusqu’ici.

D’entrée de jeu, le film assume de se confronter au sous-texte sexuel liée à l’essence même de la figure vampirique. Ce parti pris pourrait sembler anodin au spectateur de 2023 (quoique la saga Twilight s’est depuis emparé du mythe avec une approche beaucoup plus puritaine et totalement anachronique). En 1983, se servir aussi explicitement de toute l’imagerie ‘’vampiresque’’ pour interroger la question du désir en amour n’a rien d’évident. Encore moins lorsque le récit décide d’aborder frontalement la question de l’universalité de ce désir, en l’occurrence l’attirance d’une femme (ici, le personnage de Sarah, joué par Susan Sarandon) pour une autre femme. Une réflexion qui contamine l’ensemble du récit, véritable clé de voute du long-métrage.

True (Blood) Romance

Miriam (Catherine Deneuve, plus troublante que jamais) est une femme vampire qui a traversé les siècles. Depuis 200 ans, elle vit aux côtés de John, un violoncelliste rencontré dans la France du XVIIème à qui elle a promis la vie éternelle en échange de son amour (et accessoirement de son sang). Malgré ce pacte, John commence à observer des signes de faiblesse physique et un vieillissement accéléré de son corps. Une dégénérescence qui semble étrangement liée à l’étiolement du désir de Miriam pour lui…

Dans son article ‘’ Le vampire comme métaphore identitaire’’, l’universitaire Sébastien Rutes se penche sur plusieurs réécritures mexicaines du mythe de Dracula. Pour l’une d’elle, il note que le vampire peut être perçu comme la quête identitaire ultime : celle de pouvoir combler tous les désirs d’un individu, et ce grâce à l’anéantissement du dernier rempart à la finitude de l’Homme : la mort. C’est précisément le sujet au cœur des Prédateurs. Les amant.e.s/victimes de Miriam ne peuvent exister que dans un rapport de soumission à cette dernière, uniquement alimenté par l’amour et le désir qu’elle leur porte. En cela, le film explore la complexité des rapports d’emprise et d’égoïsme qui peuvent s’opérer au sein d’une relation amoureuse. Le titre original du fim, The Hunger, est d’ailleurs assez explicite sur cette question. Faisant avant tout référence à l’appétit des vampires pour le sang humain, le mot peut également être saisi comme ‘’le désir ardent’’, sorte de graal recherché par l’ensemble des personnages.

Only lovers left alive

Pour se mettre au diapason de son sujet et éviter une approche trop théorique, Tony Scott va mettre à profit ses 10 ans d’expérience acquise dans la publicité. Les Prédateurs enchaîne donc les plans sophistiqués, alternant un montage saccadé et des ralentis oniriques, ainsi qu’une hyperstylisation de la violence. Les effets sont parfois kitsch, engoncés dans une charte visuelle ‘’MTV’’ qui n’a pas toujours très bien vieilli. Certaines scènes érotiques à l’aspect suranné (d’aucun dirait « hamiltonien ») peuvent elles aussi prêter à sourire. Néanmoins, le film développe un univers symbolique fort, toujours cohérent et signifiant.


Les multiples expérimentations visuelles et sonores participent également à instaurer un profond sentiment de malaise et/ou de fascination. Faisant fi de tout classicisme hollywoodien, Tony Scott s’intéresse davantage aux sensations générées par ses images qu’à la linéarité de sa narration. Toute notion de réel semble d’ailleurs progressivement être évincée du cadre à mesure que l’influence de Miriam grandit et se resserre autour de Sarah. On touche ici à une des interprétations du film qui peut se lire comme une parabole sur l’addiction, illustrée assez explicitement dans les scènes où Sarah tente de résister à la soif de sang, dans une posture qui évoque la sensation de « manque » éprouvée par les personnes toxicomanes.

L’approche résolument arty des Prédateurs aura sans doute décontenancé une majorité des spectateurs de l’époque. Le film connaitra un échec à la fois critique et public. La presse rejettera en bloc le maniérisme de Scott, jugeant son esthétique trop ‘’pubarde’’ et vide de sens. Il faudra attendre l’édition vidéo et l’aura fantasmatique véhiculée par les scènes saphiques entre Catherine Deneuve et Susan Sarandon pour que le film soit progressivement réhabilité. Le temps faisant son œuvre, il n’est finalement que justice de redonner sa chance à ce premier long qui, passé l’opacité de sa mise en scène et sa narration éclatée se révèle une réflexion funèbre d’une grande beauté sur l’amour et le temps qui passe.


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