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LES AUTRES

Dans une grande et austère demeure médiévale de la campagne anglaise, une mère de bonne société élève seule ses deux enfants en attendant son mari, qui n’est jamais revenu de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque de nouveaux domestiques arrivent, ils réalisent rapidement que d’autres mystérieux habitants peuplent la maison…

Critique du film

Avec Les autres, Alejandro Amenábar signe un bijou atmosphérique qui détonne au sein de sa filmographie bigarrée et éclectique (composée de films historiques comme Lettre à Franco ou Agora, de quelques thrillers tels qu’Ouvre les yeux et d’autres films d’horreur grand public) et qui reste sans aucun doute son oeuvre la plus aboutie. Lande brumeuse, grande maison effrayante, ombres rampantes : Les Autres encapsule l’esthétique et les thématiques horrifiques avec la méticulosité d’un bon élève, au point que c’en est presque trop. Loin de signer une caricature à gros budget cependant, Amenábar, en convoquant tous les éléments du folklore horrifique, a su capturer et rendre hommage aux histoires qui font peur et que l’on se raconte tard le soir.

Le film s’inscrit ainsi parfaitement dans la ligné de tous les autres avant lui qui ont exploré le thèmes si riche et poétique de la hantise d’un lieu, au sens propre comme au figuré, et, nourrit des fantômes du cinéma, Les Autres en engendre à son tour. Il dialogue avec des classiques comme La maison du diable, Rebecca ou Les Innocents et sa présence planera sur d’autres oeuvres plus tardives, comme Crimson Peak, L’Orphelinat, ou encore La dame en noir, tandis que son histoire, telle légende urbaine, continuera de bruisser culturellement autour de nous, à l’image des chuchotements qui clôturent le film.


Mais avant de hanter le cinéma de genre et nos imaginaires, Les autres est avant tout un film lui-même hanté par de nombreuses présences. Celle, d’abord, de la maison dans laquelle il a été tourné, El Palacio de los Hornillos, qui fait écho à toutes les grandes grandes demeures de la littérature anglaise du XIXème siècle et du début XXème –Wuthering Heights, Manderley, Thornfield Hall ; celle du genre gothique, qui rôde durant tout le film et se découvre dans les voilages d’un autre siècle, les pierres tombales, l’enfermement des personnages et leur piété ; celle des fantômes fuyants qui persécutent les héros ; mais surtout et par dessus tout, celle de son actrice principale, Nicole Kidman, qui livre ici une performance inoubliable (qui lui vaudra d’ailleurs une nomination aux Golden Globes et aux BAFTA).

Dans ce rôle de mère glaciale, rigide et tourmentée, la blondeur et la pâleur de l’actrice la haussent au rang des meilleurs héroïnes hitchcockienne, période à laquelle l’histoire se déroule, et le fantôme troublant d’une Grace Kelly ou d’une Kim Novak semble parfois se superposer à son image. Madone déchue, condamnée à vivre dans le noir, dans un film où la lumière divine brûle les dévots au lieu de les guider vers le salut, Nicole Kidman confirme avec Les Autres sa prodigieuse capacité à endosser des rôles complexes qui font voler en éclat les standards de la féminité, de la maternité et de la conjugalité, dans la lignée de ses performances chez Gus Van Sant (Prête à tout) ou chez Kubrick (Eyes Wide Shut) et en amont de ses rôles plus sombres encore chez Lars Von Trier (Dogville) ou Yorgos Lanthimos (Mise à mort du cerf sacré). Dans le clair obscur métaphysique d’Amenábar, Kidman vacille, trébuche et regarde le monde qu’elle connaît être retourné comme un gant et dévoiler ses coutures irrégulières et imprévues.

Loin de se résumer au thriller ou à l’horreur, Les Autres parle de folie ; en cela, Amenábar atteste de son excellente compréhension des ressorts psychologiques de l’épouvante. Celui qui expliquera qu’il trouve l’horreur invisible bien plus puissante que n’importe quelle démonstration visuelle peuple son film de rumeurs et de névroses : c’est l’histoire de deux enfants qui devaient vivre dans le noir -à moins que ce ne soit celle de la femme qui refermait compulsivement les portes derrière elle. Les ressorts les plus importants du film -l’époux, les spectres, le soleil -ne sont (presque) jamais présents à l’écran ; leur menace fantomatique est bien plus puissante que leur présence réelle.

Les autres
En confinant la terreur à l’imaginaire, le réalisateur prouve qu’à l’instar des plus grands conteurs, il sait que les meilleures histoires de fantômes sont en fait celles qui n’en sont pas. Ainsi, les revenants les plus marquants à l’écran sont toujours des projections de l’enfer mental des personnages -on pense à l’iconique Bent-neck-lady de la série The Haunting of Hill House ou à la captivante Madeleine de Vertigo. Les fantômes des Autres font sans aucun doute partie de ce panthéon, non pas parce qu’ils traversent les murs et sont invisibles mais parce qu’ils sont bien plus réels que l’on ne voudrait le croire et parlent d’une monstruosité tout ce qu’il y a de plus terrestre.

La guerre, le deuil et le déni sont ainsi les véritables horreurs qu’abrite la grande demeure du film d’Amenábar (matérialisation de l’inconscient), dont Nicole Kidman détient les clés mais qu’elle tente de mettre à distance en gardant toutes les portes -physiques et mentales- hermétiquement closes ; une horreur toute psychologique, condamnée à errer dans nos esprits fragiles comme les personnages du film dans la brume qui les entoure. En cela, Les autres continue de vivre en nous bien après son dénouement, s’effaçant et perdant ses contours pour se faire l’écho des histoires de fantômes et des contes universels sur le chagrin, la mémoire et la réminiscence. Les films de fantômes sont toujours les plus tristes.


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