LA SOIF DU MAL
Une bombe explose et fait deux victimes à Los Robles, petite ville à la frontière des Etats-Unis et du Mexique. Deux policiers, dont l’un utilise des méthodes peu orthodoxes, s’affrontent dans leur conception de la justice.
Critique du film
En 1958, Orson Welles livrait avec La Soif du mal un des sommets du film noir, une œuvre sombre et désabusée située à la frontière des Etats-Unis et du Mexique, portant un message politique en filigrane de la trame policière de ce long-métrage qui lui laissa un arrière-goût d’insatisfaction. En effet, certains pontes d’Universal décidèrent de remanier certains éléments du montage souhaité par Welles. À la suite de cette décision, le metteur en scène rédigea un mémo de 58 pages, expliquant son point de vue et décrivant le résultat qu’il aurait aimé montrer au public. En 1998, afin de célébrer dignement le 40ème anniversaire de La Soif du mal, Universal ressortait le film dans une version reconstruite d’après les indications contenues dans les précieux mémos de Welles.
Les modifications apportées à la première mouture de ce film, qui était déjà une grande réussite artistique, pourraient apparaître comme secondaires – composition d’Henry Mancini accompagnant le début du film dans la première version remplacée ici par de la musique diégétique, montage de certaines scènes, …- mais offrent 14 minutes de scènes supplémentaires et font ressortir avec plus d’éclat la maestria technique du maître, la première version comportant des scènes retournées par un réalisateur de second plan. Universal avait probablement été échaudée à la fois par l’aspect très artistique du film, très loin d’un banal film de genre, mais aussi par le discours politique sous-jacent.
La séquence d’ouverture, restée dans les annales, fait montre d’une virtuosité extraordinaire, en nous offrant un extraordinaire plan-séquence d’une voiture que l’on suit, alors qu’une bombe a été placée à l’intérieur. Un couple occupe le véhicule qui passe la frontière séparant le Mexique des Etats-Unis. Pendant ce temps, un autre couple, campé par Charlton Heston et Janet Leigh, se promène à pied et ne cesse de croiser la voiture piégée. Tout le reste du film laisse éclater le génie artistique et technique de Welles, qui transforme l’adaptation d’un roman policier à la réputation médiocre en coup de maître esthétique et politique à la fois – il avait déjà réussi ce coup de maître avec La Dame de Shanghaï, et c’est pour ça que Charlton Heston avait imposé Orson Welles sur La Soif du mal.
Dans La Soif du mal, Vargas, le policier d’origine mexicaine qui nous apparaît comme intègre sous les traits de Charlton Heston, s’oppose à Quinlan, incarné par Orson Welles, un collègue beaucoup moins scrupuleux. Quinlan porte la démesure des monstres shakespeariens et le combattre signifie peut-être risquer de tomber dans les mêmes abîmes que lui. La fin justifie-t-elle les moyens ? C’est une des questions centrales de cette œuvre qui parle également de justice, de conceptions de l’ordre qui se confrontent, mais aussi du regard que les américains jettent sur les Mexicains.
Accompagné par une des très grandes bandes originales d’Henry Mancini, superbement photographié et éclairé – avec ses effets d’ombres et de clairs-obscurs – La Soif du mal appartient au panthéon du film noir et du cinéma tout court. Comprenant également dans sa distribution Marlene Dietrich, dans un rôle apparemment restreint, mais qui offre des moments très forts, très intenses, mais aussi Akim Tamiroff, irrésistible en gangster à la fois inquiétant et ridicule, cette œuvre offre également des dialogues étincelants.