LA CLEPSYDRE
Jozef vient voir son père en traitement dans un sanatorium, mais l’établissement médical qu’il découvre est un vaste palais lugubre, rongé par la vermine et tapissé de toiles d’araignées où le temps et l’espace sont comme pris dans un vertigineux tourbillon. Le Dr. Gotard lui explique que le temps y a été comme retardé. Ne comprenant rien à ce discours, Jozef s’aventure dans la vaste demeure…
Critique du film
Tourné en 1973, La Clepsydre est le dixième film du réalisateur polonais Wojciech J. Has et sûrement l’un des plus célèbres avec Le Manuscrit trouvé à Saragosse. Ce long-métrage unique, envoûtant et à la mise en scène impressionnante adapte des nouvelles issues de deux recueils de nouvelles de Bruno Schulz, écrivain et artiste graphique polonais dont l’œuvre a été marquée par une personnalité maladive, fragile et une vie parsemée d’épreuves qui le mena à un destin tragique : après avoir connu successivement occupations soviétique et nazie, l’homme fut finalement assassiné par un officier SS en 1942. Cet univers si particulier des écrits de Bruno Schulz, très noir, mais aussi baroque et surréaliste, mêlant réalité et onirisme se trouve magnifiquement mis en images par Wojciech J. Has : sur des images magnifiques, on assiste à la déambulation d’un personnage kafkaïen, au milieu de décors d’une richesse inouïe, où le sublime côtoie la putréfaction, déambulation ou parcours initiatique mis en valeurs par de savants mouvements de caméra.
’attention extrême porté aux moindres détails, dans les bibelots, les costumes et la mise en scène sont l’un des atouts d’un film qui renvoie aussi bien au cinéma de Fellini qu’à celui de Max Ophüls. Il y a à la fois une grande élégance et une préciosité mais aussi une recherche de la vérité existentielle dans ce qu’elle peut avoir de plus sombre ou désespérée, mais sans jamais négliger une forme d’ironie ou d’humour noir.
Accueilli par de sévères critiques lors de sa présentation au Festival de Cannes en 1973 – ce qui ne l’empêcha pas d’en repartir avec Le Prix Spécial du Jury – La Clepsydre fait partie de ces œuvres qui divisent peut-être parce qu’il faut accepter de ne pas forcément tout comprendre. Certains esprits cartésiens peuvent considérer cette particularité comme un manque de cohérence ou une facilité, mais qui peut se targuer de comprendre ce que signifient la vie, la filiation, la mort ? Ce film constitue un voyage, un rêve dans lequel on doit accepter d’être bousculé, surpris et désorienté.
Thématiquement, La Clepsydre s’avère d’une diversité exceptionnelle : l’histoire, les rapports père fils, la mort, Dieu, l’errance, mais aussi, peut-être beaucoup d’autres sujets que chacun pourra y voir, tant cette œuvre nécessite probablement plus d’une vision pour en évaluer la vertigineuse beauté et la richesse. L’interprétation, la reconstitution d’un village en Galicie, l’évocation des traditions hassidiques, le sens du cadre de Has, tous ces éléments contribuent à faire de La Clepsydre un périple intérieur passionnant et éblouissant, visuellement et intellectuellement.
Plastiquement superbe, touchant et grinçant, ce rêve étrange et inquiétant, qui prend parfois la forme d’un cauchemar mais qui n’est pas forcément totalement désespéré, est ressorti au cinéma le 8 janvier, magnifiquement restauré en 4K et distribué par Malavida films.
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