ALOÏSE
L’histoire véridique d’Aloïse, aliénée, enfermée toute sa vie, qui a fini par s’exprimer par la peinture.
Critique du film
En 1975, Delphine Seyrig tourne dans pas moins de sept films, dont trois réalisés par des femmes : India song de Marguerite Duras, Jeanne Dielman, 23 quai du commerce et 1080 Bruxelles de Chantal Akerman, mais aussi Aloïse de Liliane de Kermadec. Cette dernière, qui a commencé comme comédienne et photographe de plateau, avait déjà fait tourner Delphine Seyrig dans un court-métrage de 1966, Qui donc a rêvé, inspiré par Alice au pays des merveilles. Aloïse prend son inspiration dans la vie d’Aloïse Corbaz, artiste suisse, née à la fin du XIXème siècle et qui fut hospitalisée pour des troubles mentaux. Rêvant de de venir cantatrice, Aloïse Corbaz devint peintre et produisit des œuvres picturales jusqu’à son décès. Certains de ses tableaux sont visibles en Suisse ou dans le Nord de la France.
Quand elle est encore adolescente, Aloïse – jouée par Isabelle Huppert pour la première partie du film, puis par Delphine Seyrig – explique à son père qu’elle souhaite chanter. Mais celui-ci ne prend pas ça au sérieux et semble s’inquiéter surtout de ce que ça lui coûterait. De même, lorsqu’elle se confie au prêtre et lui dit qu’elle ne souhaite pas chanter à l’église mais seule, l’ecclésiastique lui reproche ce désir. On ne permet pas à la jeune femme d’exprimer son individualité, sa personnalité profonde. Et lorsqu’à son école, elle reçoit un Premier Prix et qu’on fait son éloge de son sérieux et de ses résultats, on lui fait remarquer son manque d’enthousiasme pour la couture et l’économie domestique. On lui reproche de ne pas s’en tenir à sa condition de femme à qui on ne demande que de tenir un foyer, de servir son mari et ses enfants.
Très vite, lorsque la première guerre mondiale déchire l’Europe, Aloïse tient des propos humanistes et pacifistes en public et provoque l’ire des patriotes et des conformistes. Cet altruisme, cette empathie pour les êtres en général, apparaît comme pathologique et révélateur de profonds troubles mentaux. On hospitalise alors la jeune femme, qui trouve refuge dans l’écriture, puis le dessin, la peinture.
Le film de Liliane de Kermadec offre une vision très désabusée de ce parcours. Malgré la notoriété d’Aloïse et de son œuvre, ses tableaux sont moqués par un professeur – Roland Dubillard – qui ne tolère aucune contradiction de la part de ses élèves. Incompréhension et sarcasmes l’accablent directement ou indirectement. Et elle-même, lorsqu’elle aura pris de l’âge, ne semble même pas reconnaître ses tableaux, en tous cas ne retrouve pas leur esprit originel lorsqu’elle les revoit exposés.
Traitant d’une psychiatrie répressive à l’extrême – on interne systématiquement les alcooliques, une des infirmières critique ouvertement les dessins de l’artiste– mais aussi d’une société patriarcale où la femme n’est que le faire valoir de son mari et où la religion est un des bras armés d’une idéologie misogyne, Aloïse bénéficie d’un solide scénario co-écrit par la réalisatrice et André Téchiné, d’une mise en scène discrète et sobre et d’une très belle distribution : outre Delphine Seyrig et Isabelle Huppert, on retrouve Michael Lonsdale, Marc Eyraud, Julien Guiomar ou Roger Blin.
On imagine bien à quel point ce film a pu être cher à Delphine Seyrig tant les thèmes développés par la réalisatrice correspondaient à des combats que menait l’actrice, avec parfois excès ou maladresses, mais constamment avec sincérité et courage. Il s’agit donc d’un long-métrage emblématique de la filmographie et de la personnalité de cette artiste, comédienne, réalisatrice et activiste.